COMMENT POUVOIR PARLER DE LUI À L’IMPARFAIT…

Jacqueline Saint-Jean écrit à l’ami poète en allé…

Il s’en est allé, l’ami poète, nous laissant soudain dans la sidération, la tristesse, le silence…

Lui si présent dans nos vies d’écriture, nos rencontres, nos lettres, si vivant dans son œuvre qui m’accompagne depuis Le temps des sèves et Le givre et la raison, dénichés dans une librairie toulousaine en 1971, et ses fascinants premiers romans chez Laffont, Haute serre et La chasse Artus. Nos premières rencontres entre 73 et 75, à Bruguières, Carmaux, alors que j’animais un atelier lecture d’un de ses poèmes. Puis, avec lui et Le Sidaner, Tixier, Lovichi, à Viazac en 1975, lors de journées Encres Vives et GFEN [1], où j’animais un atelier d’écriture, moment essentiel dans mon parcours et mes relations avec la revue, où Michel Cosem accueillit ensuite dix de mes écrits. Les lectures du comité de rédaction, à Figeac, Tarbes pour les 50 ans d’Encres Vives, et nos dernières retrouvailles, au château Saint-Louis, dans la lumière des vignes et l’amitié des présences. Comment pouvoir parler de lui désormais à l’imparfait…

Comment évoquer cet homme discret, attentif et bienveillant, ouvert au monde et aux autres, libre et généreux, dont la seule présence diffusait une sorte de sérénité confiante.

Un être habité par le besoin d’écrire et le désir de partage, que je revois, souvent assis dans l’herbe, adossé à un arbre, carnet sur les genoux, comme incorporé au lieu, plongé au pays des mots et des songes. Bien loin des parisianismes et mondanités littéraires.

Le fondateur d’Encres Vives, ce foyer de poésie qu’il a fait vivre pendant 63 ans, inlassablement, accueillant mille et une voix, émergentes ou connues, venues de tous les horizons, à travers quatre collections. Qui dira cette longue aventure ?

L’écrivain qui s’investit beaucoup dans les rencontres avec les jeunes lecteurs, écrit pour eux avec exigence, les rencontre, anime des ateliers, désireux d’éveiller le désir de lire et d’écrire, de faire découvrir le pouvoir essentiel de la poésie, la force de l’imaginaire.

Le créateur inspiré d’une œuvre multiforme et féconde d’environ 200 livres, poésie, romans, contes, nouvelles, ouvrages théoriques, anthologies, livres pour la jeunesse, irrigués par son regard aimant et pénétrant sur les lieux, sur l’Histoire humaine, sur la beauté du monde. Voyageur qui habite le monde en poète, captant l’éphémère et l’immémorial, magnifiant l’ordinaire, les rencontres, les passants, les visages, la vie animale et végétale.

En ces temps de dérive et de prédation planétaire, son œuvre vivifiante chante notre double appartenance, à notre humanité menacée, en proie « au poison de la destruction », à « l’histoire cruelle toute vibrante des cris de haine » et à la Terre, aux éléments, aux règnes du Vivant. Elle tente de réenchanter « ces chemins du regard qui sont les seuls possibles dans la probable tourmente ».

Malgré les ombres et les épreuves, il peut dire : « Mon écriture et mes rêves ont survécu : cela suffit » ( L’encre des jours, éd Alcyone)

Jacqueline Saint-Jean


[1] -Groupe Français d’Education Nouvelle.

APRÈS LA PAGE BLANCHE





Après la page blanche une autre page blanche

Effronté comme un page Sous les pavés la plage

On devient chocolat en faisant poésie





Après la page blanche le coup de dés fatal

Un poème de deuil après le dur cancer

vainqueur On devient fou À tort et à travers





On crie sur le papier On rend ce crâne vide

à son rire éternel On redit Valéry

au cimetier’ marin où picorent les focs





Sur cette blanche page qui s’irise de gris

Un non-sens verlainien sur l’ardoise indécise

Proche du pur zéro et d’un poème toc





Après la page blanche une autre page blanche

C’est la tienne lecteur grognard de poésie

Qui poursuit impassible le déni de sa mort

L’écriture d’un vers qui te fait chocolat





Ah ! ah ! les vibrations du vieil alexandrin

Jusqu’à ce derniers vers…inachevé pardi !





25 mai 2021





À la mémoire de Josiane Dorio (10 avril 1952-25 mai 2014)

Ma chérie