PHILIPPE JACCOTET (N)’EST (PAS) MORT

« Ah! si les fleurs n’étaient que belles!« 
photo de mon jardin des Martigues
prise après l'annonce de la mort de Philippe Jaccottet
ce  24 février 2021
rue de la Glacière dans sa maison de Grignan
à l'âge de nonante cinq ans




Philippe Jaccottet, le poète niché avant sa mort dans une des Pléiades, m’a fait le plaisir d’échanger quelques « présents », lettres et cartes postales, à propos, tout d’abord, d’un lieu unique, nous tenant tous deux à cœur : le site archéologique de Saint Blaise. Lui, dans quatre pages lumineuses, commençant par « Je me souviens aussi de Saint-Blaise (un site grec au nord des Martigues), (in Paysages avec figures absentes 1970) commettant, mais avec bonheur, l’erreur de Colomb, croyant avoir atteint les Indes, moi, dans un recueil, plus que confidentiel, intitulé L’oppidum sans nom 2010 (Encres Vives Collection Lieux), Le site en réalité est un vaste oppidum gaulois (VI°-II°S av. JC), paré d’un rempart grec, dans sa dernière période.

Nous nous sommes ensuite rencontrés, une fois, une seule, à propos d’une exposition des aquarelles d’Anne Marie, son épouse.  

Deux citations.

La première conteste la posture du « poète », de son ami André du Bouchet, proche de sa disparition, (mais paraît le regretter.)

La lettre d’Anne de Staël à propos de la santé d’André (du Bouchet) : le corps réel d’un poète est le corps des mots» – je n’ai jamais cru cela, et c’est probablement ma faiblesse, mon tort. (La seconde semaison)

La seconde évoque ce pilote d’une barque (« la barque », un poème essentiel de Francis Ponge qu’il fréquenta*), assimilé  à son travail « d’écrivain » :

Je compare mon travail d’écrivain à celui qui pilote une barque sur une rivière; la laisser couler,  la laisser prendre le courant mais en même temps utiliser les rames ou un gouvernail pour qu’elle n’aille pas s’enliser dans les bords. Je crois que la forme de travail pour moi ç’a été cela.

Et pour le reste, longue vie aux lecteurs de Philippe Jaccottet, tous ceux et celles, qui goûtent encore, et « malgré tout », « ce peu de bruit » qui fait l’essence, plus que jamais, des poésies.





*un ouvrage, trop peu lu, en fait son miel : Le printemps du temps : Poétiques croisées de Francis Ponge et Philippe Jaccottet. Michèle Monte et André Bellatorre (Textuelles 2008)

"le poète n'a pas de place...
il maintient (cependant) un espace respirable
dans un monde qui l'est de moins en moins"
Philippe Jaccottet

	

C’EST LE COUVRE-FEU





C’est le couvre-feu c’est le couvre-flamme

Restez chez vous jeunes et vieux hommes et femmes





C’est l’hôpital plein de patients en réa

Dont la vie ne tient qu’à un aléa





Souffle suspendu cerveau dans le vague

La mort la sale mort les drague





C’est le couvre-feu c’est le couvre-flamme

Restez chez vous jeunes et vieux hommes et femmes





24/10/2020

L’ÉCRITURE THÉRAPIE





L’ÉCRITURE THÉRAPIE

Pour toi, ce silence et l’infini d’une parole, d’une douleur toujours renouvelée, que grâce te soit rendue.

Max Alhau (Ici)

La mort de Josiane D.

a brisé le miroir  de Jean Jacques

Il l’écrit crûment

comme fragment d’un double

écartelé et décentré

Mais l’écrire n’est pas nostalgie

vers un bonheur du passé

L’écrire, et oser le faire lire,

manifeste la persévérance de nos voix

entre deux silences :

la voix de l’absent.e perdu.e

et celle des derniers lecteurs

qui vivent encore le rituel de poésie

entre « heureux mortels » qui font appel

aux Muses disparues

et à l’écriture d’un poème

qui par le travail sur la langue agit

Ainsi Je et Nous s’interpellent

Ce qui donne sens à l’écrit





Nous embrassons et ceux qui ont été

et ceux qui ne sont point encore,

non que les absents.

Michel de Montaigne

VIVRE JUSQU’À SA MORT





Quelques amandes de mon jardin

et un premier pastis sur la table

de la terrasse





Je suis insensible aux plaintes

des Français à jets continus





Mais non aux témoignages personnels

empreints de délicatesse

et de mots que l’on essaie de bien choisir

pour les écrire





J’ai connu la détresse d’une proche

en « maison de retraite »

Elle fut centenaire dans le plus grand désarroi

c’était dix ans de trop





J’ai connu la souffrance de mon épouse

et le malheur de la perdre

le cœur plein de projets





Mais nous l’avons soignée

« vivante jusqu’à la mort »

selon la formule qui nous rassembla

jusqu’à son dernier souffle





Ici dans notre maison

près de cette table où je prose

ces quelques vers

témoin discret





écrit ainsi
23/04/2020
midi