MAINTENIR EN VIE MADAME POÉSIE (malgré tout)

MALGRÉ TOUT, malgré l’écart abyssal entre les recherches d’un Descartes ou d’un Pascal, parmi les premiers à introduire le « moi » dans leur vocabulaire, et la recherche de l’anéantissement du peuple ukrainien par PoutinHitler Malgré toute « la mort, la mort, toujours recommencée » versus « la vie, la vie, un.e enfant nous est né.e ! » Malgré tout, la poésie nous maintient, m’écrivit un jour le poète Jaccottet, en réponse au recueil Aimer l’Utopie, que je lui avais envoyé à Grignan, rue de la Glacière Continuer Maintenir un rayon de soleil (même glacé) Sans se dissoudre en pleurs Sans se déconforter 1 Malgré le rideau de scène qui tombe lentement sur nos années perdues le désespoir assis sur un banc 2  « Banc public banc public » les amoureux qui s’bécottent comme des piafs la Môme chantant ses rengaines dans les cours pour deux sous d’rêves merveilleux Demain toujours ça irait mieux Malgré tout cet horizon de sang de fausses nouvelles et de lettres mortifiées Mañana la otra voz siempre viva La voix autre de Paz -le bien nommé- 3 L’autre voix qui n’est à vendre sur aucun marché Les voies de plénitude et vide, envol et chute, enthousiasme et mélancolie : malgré tout, maintenir la lueur ténue de Madame Poésie

1 Philippe Desportes 1545-1606 Complaintes 2 Prévert 1900-1977  3 Octavio Paz 1914-1998

carte postale de Philippe Jaccottet

Grignan 15.XII.2011

Cher Jean Jacques Dorio

C’est de plus en plus ardu

d’«Aimer l’Utopie » aujourd’hui,

mais peut-être d’autant plus nécessaire.

Merci, quoi qu’il en soit, de me confier

vos « pages de résistance »

et de ne pas démériter !

Avec mes vœux amicaux

Philippe Jaccottet

RÊVES À BORD : VIGIE VIRGILE CENT ANS DE SOLITUDE

RÊVES À BORD

Rêves à bord se dit le rêveur vigilant Rêves de vigie sur des vers de Virgile alias Publius Maro prononcé comme notre bon Marot (je mavance un peu car latin décole ne fit) Rêve des vents dautan venus de la Montagne Noire Rêve dAuréliano Buendia face au peloton dexécution qui ouvre le récit du réalisme magique de Cien años de soledad  Rêves des pèlerins perplexes devant le Christ Sémaphorique du tympan de Conques Rêves où le rêveur vigilant laisse à ses lecteurs bienveillants le soin de démêler fantasmagories et réminiscences Rêves des coqs à lâne et des poules du couvent qui couvent leurs œufs homographes Rêves qui nont pas de noms et que lon pousse sur le papier comme simple rêverie sans la surcharge daucun savoir 2 Rêves puisés dans les textes de Michel Butor (Matières de Rêves) ou de Philippe Jaccottet (Les Semaisons) Rêves faits maison parmi les près de Naouzos où je gardais enfant les vaches faisant leurs bouses à côté des « tuttes » de grillons Rêves dOrion et du père Dorio qui appela Sirius son chien de chasse à la bécasse Rêves de jubilation issus de mai 68 faits dans une soupente où mhébergeait une actrice de tragédies Rêves damours délices et orgues Rêves polysémiques de Sapientia : nul pouvoir, un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible 3 Rêves de fin de partie où lon sabandonne à lénergie du vide sans penser ni redouter la venue du Grand Couac

1 Cent ans de solitude Gabriel García Márquez 2 Gaston Bachelard 3 Roland Barthes (derniers mots de sa Leçon au Collège de France)

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UN POÈTE S’ÉTEINT UN AUTRE PREND SA LAMPE

Se lever et marcher S’écrire et s’écrier S’essayer à ses craies sur l’ardoise du temps perdu et retrouvé Un poète s’éteint un autre prend sa lampe Ses histoires ses refrains son parcours- labyrinthe Exercices de style dans la traversée des genres que le siècle XX° croyait avoir brisés A contrario, ici, ma main manie son vers dans la marche, le bond, l’écrit sorti du vieil encrier Sans oublier les exploits d’un Ulysse chantés par un aède qui fait verser des pleurs à l’Inventif comme l’appelle Jaccottet traduisant l’Odyssée J’ai la chance d’entretenir un petit courrier avec le poète de Grignan Je lui envoie mon dernier recueil édité par Encres Vives Aimer l’Utopie (c’est le numéro 399)  C’est de plus en plus difficile d’aimer l’utopie me répond-il aimablement Mais peut-être ajoute-t-il est-ce de plus en plus nécessaire Merci Philippe & merci Tchouang Tseu qui ne sait plus si rêver d’un papillon ne risque pas de mettre en feu cette allumette volante, ce minuscule voilier, images forgées par ce diable de rhétoricien qui essaima sous le nom de Francis Ponge « Une rhétorique par objet et par poème » tel était son objectif Objectif Subjectif Le sujet se fait objet entre force et douceur, geste juste, patience « es de madera mi paciencia, sorda vegetal » 1 De bois de guitare et de cuatro est ma patience Patience sourde mythe végétal traduite en ces étranges langues qui s’entreglosent Amor/Amour, Sort/Suerte, dónde muerte no muerde : LA MORT N’Y MORD 3

1  « elle est de bois ma patience, sourdement végétale» Cesar Vallejo Trilce  2 Petit instrument de quatre cordes que j’ai appris à jouer dans sa patrie d’origine le Venezuela 3 Le blason de Clément Marot « prince des poètes »

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DE LA POÉSIE





À un moment donné, donc, je n’ai plus pu me contenter d’écrire des poèmes ;

 il a fallu que j’essaie de comprendre ces émotions et le rapport qui les liait à la poésie.

Philippe Jaccottet

La promenade sous les arbres





Poésie, née d’émotion et de confusion, pourvu que l’on essaie de la frotter à notre langage en fusion, nous mène au sommet de l’imagination humaine.

Le mot lui-même, seuls ceux qui s’adonnent à son perpétuel mouvement le savent, est intraduisible. Mais il a un passage obligé : la poésie universelle est liée à la poésie individuelle.

Sans cette liaison amoureuse, il n’y a que l’ « apoésie », l’agitation, la crainte de l’autre en soi, l’obscurité, le chaos, la prose du monde, l’abondance des paroles prisonnières des réseaux asociaux.

Ce n’est que quand les deux poésies se réunissent qu’il y a mouvement, transport, métaphore, vision claire, bien qu’éphémère, et toujours dans l’insatisfaction de l’homme agissant et souffrant.

Les trésors  d’harmonie que les poètes dans un vers unique,  tissent à partir de leur expérience, sont à ce prix. Poésie est dispersée sur toute la planète. C’est pour ça que beaucoup de poètes locaux ne la reconnaissent pas. Il faut réunir sans cesse ses brins épars.

PHILIPPE JACCOTET (N)’EST (PAS) MORT

« Ah! si les fleurs n’étaient que belles!« 
photo de mon jardin des Martigues
prise après l'annonce de la mort de Philippe Jaccottet
ce  24 février 2021
rue de la Glacière dans sa maison de Grignan
à l'âge de nonante cinq ans




Philippe Jaccottet, le poète niché avant sa mort dans une des Pléiades, m’a fait le plaisir d’échanger quelques « présents », lettres et cartes postales, à propos, tout d’abord, d’un lieu unique, nous tenant tous deux à cœur : le site archéologique de Saint Blaise. Lui, dans quatre pages lumineuses, commençant par « Je me souviens aussi de Saint-Blaise (un site grec au nord des Martigues), (in Paysages avec figures absentes 1970) commettant, mais avec bonheur, l’erreur de Colomb, croyant avoir atteint les Indes, moi, dans un recueil, plus que confidentiel, intitulé L’oppidum sans nom 2010 (Encres Vives Collection Lieux), Le site en réalité est un vaste oppidum gaulois (VI°-II°S av. JC), paré d’un rempart grec, dans sa dernière période.

Nous nous sommes ensuite rencontrés, une fois, une seule, à propos d’une exposition des aquarelles d’Anne Marie, son épouse.  

Deux citations.

La première conteste la posture du « poète », de son ami André du Bouchet, proche de sa disparition, (mais paraît le regretter.)

La lettre d’Anne de Staël à propos de la santé d’André (du Bouchet) : le corps réel d’un poète est le corps des mots» – je n’ai jamais cru cela, et c’est probablement ma faiblesse, mon tort. (La seconde semaison)

La seconde évoque ce pilote d’une barque (« la barque », un poème essentiel de Francis Ponge qu’il fréquenta*), assimilé  à son travail « d’écrivain » :

Je compare mon travail d’écrivain à celui qui pilote une barque sur une rivière; la laisser couler,  la laisser prendre le courant mais en même temps utiliser les rames ou un gouvernail pour qu’elle n’aille pas s’enliser dans les bords. Je crois que la forme de travail pour moi ç’a été cela.

Et pour le reste, longue vie aux lecteurs de Philippe Jaccottet, tous ceux et celles, qui goûtent encore, et « malgré tout », « ce peu de bruit » qui fait l’essence, plus que jamais, des poésies.





*un ouvrage, trop peu lu, en fait son miel : Le printemps du temps : Poétiques croisées de Francis Ponge et Philippe Jaccottet. Michèle Monte et André Bellatorre (Textuelles 2008)

"le poète n'a pas de place...
il maintient (cependant) un espace respirable
dans un monde qui l'est de moins en moins"
Philippe Jaccottet