Boire seul sous la lune, écrit Li Bo, qui la prend pour amie et avec l’ombre qu’elle lui procure, voilà qu’ils sont trois. Que n’inventons-nous pas pour peupler notre solitude ? Assurément cette main qui court le papier, maniant le pinceau du poète-calligraphe, ou bien l’ancienne plume et son encrier, avant le stylo pointe fine. Écrire seul en silence, calé sur son oreiller, la lune à la fenêtre, les volets grands ouverts. Suggérer les activités joyeuses de jadis : la toupie sur les carreaux de la cuisine, le jeu de barres dans la cour de l’école et la construction d’une cabane. Li Bo réapparaît, nuit de lune sur le fleuve, il vacille en buvant une nouvelle coupe de vin de Sin-fong. Un dernier coup de rame, ma barque de papier ne sert plus que de marque-page, les images des rêves, comment les épuiser ? Li Bo (Li Po, Li Bai) 701-762
le caractère chinois shou longévité encadré par mes hypnographies : signes imaginaires faits comme en état d’hypnose
Ajout
Cette nuit je lis les vers tirés de derrière les fagots d’un poète chinois ivre
À vrai dire je n’y comprends rien leurs caractères calligraphiques ayant disparu de notre abécédaire
Mais je m’accroche aux branches
Au-delà des mots écrits Je cherche la parole de celui qui dans son ivresse les prononça
Alors un instant vient où la lune d’hiver glisse sur les livres de ma bibliothèque
Au point de les transformer en Acherontia atropos
(Sphynx tête de mort)
J’imagine qu’ils vont aller rejoindre les rêves de ce calligraphe inconnu qui me ressemble comme deux gouttes d’encre plus noires que la nuit
Silence propre à la nuit On entend que dalle On respire doucement En écrivant ces notes Sur un carnet à ressorts pour aider l’esprit Silence propre à la mort Mais que l’on peint ici Avec les couleurs de la vie
Le lecteur ne se doute pas combien de nuits agitées tu as passé pour écrire ces lignes Elles sont toutes issues d’une bataille rangée : entre deux sommes tu lis des histoires tu t’endors à demi tu les transformes en rêves tu les réécris Ainsi celle de ce chinois un brin socratique qui ne savait plus s’il avait rêvé d’un papillon ou si au contraire le papillon avait rêvé de lui Toi tu te souviens du crocodile qui invente le monde en faisant sortir des arcs-en-ciel de sa gueule et aussi de la tortue qui voulait jouer la cantatrice chauve
VIVRE DE NUIT dans la lumière de pensées au ralenti, rêves éveillés, lectures déraisonnables, écritures à la main qui transmet ce qui parle dans la tête au papier. Étendu dans son lit, tête posée sur l’oreiller, recouvert de son linceul 1 blanc, bleu, jaune ou vert. Vivre de vocabulaire vérifié, amplifié, d’étymologies, de la folle du logis, à qui l’on donne tout pouvoir d’opérer sur sa feuille d’écriture. Comme la balade d’un Orphée qui doit aller de l’avant, sans se retourner.
1 en occitan le drap est appelé linçol selon le sens premier de linceul : petite pièce de « lin » et non drap funéraire.
Ainsi de nuit en nuit je me dénuite Je sors des mots inédits ligne à ligne Je tisse je détisse je rumine et poème se faisant je m’oublie Le Temps reviendra bien me tarauder Mais quand j’écris il est exclu du jeu De même que ce « je » qui n’est pas « moi » Ainsi de nuit en nuit ce beau défi Comme je m’interdis les repentirs De raturer de faire des biffures (au risque d’un vers de guingois mort-né) J’attends je n’écris que quand j’ai trouvé Comment touiller le feu le miel la cendre Ainsi de nuit en nuit je dynamite Fragments fusées désarrois espérances Rituel d’oubli mémoire du vide Hypnose Temps perdu Instants précieux