PETIT VOYAGE EN ROND ET EN ZIGZAG





Toute notre vie n'aura été qu'un petit voyage
en rond et en zigzag*


la joie d'écrire
sautille sur le papier

la joie? c'est exagéré
disons la sérénité

serein sereine
dans le cortège des mots
qui passent et apaisent
nos maux

la joie de dire
les naissances des marmots
les premières paroles
de l'enfance de l'art
les boucles d'écriture
les chiffres sur l'ardoise
les rires et les pleurs

la joie de faire
des romans sur la vie
la petite musique
du quotidien des rues
les marrons épluchés
journaux à la criée
et les petits métiers
rémouleur vitrier

la joie ès poésie
Paris est une fête
de Concorde
jusqu'à l'Étoile
du Châtelet à Flore
où le petit homme
au strabisme divergent
rendit célèbre
l'en-soi du garçon de café

la joie sautille
et se fracasse
dans la grand peine
des beaux-arts
bœufs écorchés
et Guernica
œuvres enragés
de la litté
l'espèce humaine
et les chansons
de quatre sous
pour oublier

inutile d'épiloguer


*italiques de Valéry Larbaud
destinées à l'éventail de madame
Marie Laurencin


À QUOI CELA SERT UNE IDÉE

 À QUOI ÇA SERT UNE IDÉE ?

À quoi ça sert une idée ?
Je n’en ai aucune idée, mais je vais y penser.
J’ai idée que ça va m’aider à savoir à quoi sert une idée.
Ça sert à phantasmer, à croire que son cerveau va produire son existence, 
cogito ergo sum.
Ça sert à cogiter, à frotter ses idées superficielles
contre ses idées profondes, 
au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau.
Ça sert à s’éveiller, après l’emmêlement des rêves de la nuit,
faire cet exercice de remise en forme, en langue française,
par à-coups, progression compliquée,
tâcher d’y voir un peu plus clair.
Une idée ça sert si c’est difficilement qu’elle accouche,
ça sert si c’est par jeu qu’elle se couche sur le papier,
une idée qui profite d’un accident heureux,
d’une pensée divergente, d’un hasard objectif.
Cette idée de soi-même comme un autre,
cherchant et trébuchant,
l’esprit ouvert ou la porte close :

"Est-ce un rêve ? Est-ce une farce ?
À quoi jouons-nous ici ?
Ici où tant de comparses
Dansent trois tours puis merci."

Liliane Wouters (1930-2016)