Je lisais un poème écrit en espagnol. Peut-être d’Octavio Paz, dont je vois la couverture noire,
et le titre en bleu sarcelle, Libertad bajo palabra. J’avais sous mes yeux, une page du livre, que
je lisais et relisais, mais mentalement.
J’étais assis sur un banc vert dans une rue populeuse, où les gens passaient et repassaient, comme
au paseo du soir. Je rêvais aussi, je ne sais plus dans quel ordre, qu’on descendait un escalier, avec
un groupe de personnes ensemble, visitant un musée.
Le poème, que je lisais et relisais, était une succession d’images, comme dans l’écriture automatique
des surréalistes, mais sous forme de sonnet, forme abolie par André Breton.
C’est alors qu’un personnage envahit l’espace du rêve. Brun avec une moustache,
il passa devant moi, puis revint sur ses pas. Je n’étais plus dans la rue, mais sur le quai du chenal
qui traverse ma ville, en face de sa bibliothèque, rebaptisée « médiathèque ».
L’homme qui était passé devant moi, je n’en doutais plus, était le poète dont je lisais la page.
Carne y hueso, en chair et en os. L’occasion était trop belle, pour que je m’adresse au maestro mexicain.
Je choisissais une ligne forte, belle et quelque peu énigmatique, une étincelle noire, une pépite,
et la lançait en l’air, espérant qu’elle « toucherait » son supposé auteur.
Tendida, piedra hecha de mediodia, ojos entrecerrados donde el blanco azulea, entornada sonrisa. (Paz)
« Déployée, pierre qui sous midi scintille, yeux entrouverts dont le blanc s’azure, sourire entrebâillé. » (Dorio)
Mais la vision s’estompa au moment où trois à quatre individus s’assirent de concert sur mon banc.
Ils ne tardèrent pas à manifester leur hostilité, m’arrachèrent la page du livre et la déchirèrent en mille morceaux.
Le rêve réécrit ce matin, je ne trouve pas d’explication.