QUI SUIS-JE ? QUE SAIS-JE ?

LES ÉGOLOGUES ET LEURS ÉGOLOGIES n’ont chez moi pas bonne presse Aujourd’hui que ce fameux concept d’identité est employé à toutes les sauces, quand « rien n’exclut d’essayer de penser hors du moi ou sans le moi » 1 Être, par exemple, un pur colibri, l’oiseau-mouche suçant le miel du livre des Essais, et le lendemain bécasse, la belle mordorée que chasseurs sans vergogne tirent à la passée, ou bien cet autre oiseau du crépuscule qui fait prendre son vol à une philosophie « parcourue par une expérimentation déniant toute entreprise identitaire d’un Moi totalisant narratif » 2 Du moins, drôle d’oiseau ou de zèbre, on aura essayé, posant les deux questions ouvertes du qui suis-je ? et du que sais-je ? 3 , doutant, pendant tant de jours et de nuits, de nos réponses, mais non du désir, chemin faisant,  de les éclairer…

1 Claude Romano L’identité humaine en dialogue 2 Gilles Deleuze 3 Michel de Montaigne

illustration Maria Dolores Cano

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QUE SÇAIS-JE ?

Que sçais-je ? Formule choisie par Montaigne pour se désembourber de ses croyances trop affirmées Une interrogation sous forme de « devise, d’une balance » (sic), qu’il fit frapper sur une médaille en 1576.

Que sais-je daujourdhui ? Ce mot qui le premier vient de se poser sur mon papier en soufflant sur les braises du jour naissant Je sais que laujourdhui commence par le bruit de ma pointe fine au verso de la couverture dun livre de poèmes que jécrivis de 1970 à 1975.

Que sais-je des poèmes ? Je sais que jen ai lu des milliers dont certains (mes phares) des dizaines de fois Je sais que moi aussi, jen ai écrit un nombre incalculable, et publié dans quelques livres et maints recueils, qui sur le moment semblaient apporter mes grains de sel, mais qui se sont dilués, avec le temps, dans l’invisible.

Que sais-je du paradis ? J’en ai produit quatre pour Encres Vives, collection Encres Blanches (tout un poème). Mais à « la minute présente » je sors de ma bibliothèque (le lieu le plus propice à l’humain paradis), le livre contenant cette longue phrase de Marcel Proust (puisqu’il faut appeler le narrateur multiforme par son nom), qui se termine par la phrase inscrite sur tous les recueils de citations : les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus. Mais les citationnistes oublient la longue phrase qui donne la saveur de cette salutaire affirmation : Oui si le souvenir grâce à l’oubli, n’a pu contracter aucun lien, jeter aucun chaînon entre lui et la minute présente, s’il est resté à sa place, à sa date, s’il a gardé ses distances, son isolement dans le creux d’une vallée ou à la pointe d’un sommet, il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c’est un air qu’on a respiré autrefois, cet air plus pur que les poètes ont vainement essayé de faire régner dans le paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s’il avait été respiré déjà, car les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus.

Que sais-je de la minute présente ? Un moineau apparaît un insecte dans le bec quil sefforce davaler et, tuit tuit, le voilà disparu et pour léternité.

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

QUE SAIS-JE ?

 
Je sais que je ne sais rien
 
Je sais qu’on appela la guerre de 14 la grande boucherie
Je sais que la littérature sans estomac est un livre de Pierre Jourde
Je sais qu’il ne faut pas couper les cheveux en 4
Mais les vers si
 
Je sais réciter par cœur ma bohème et le dormeur du val
Je sais faire cuire un loup à la plancha entouré de gros sel
Je sais que Clément Marot avait pour blason
la mort n’y mord
 
Je sais bien, mais quand même…
 
Je sais ma commère qu’il vous faudra purger de quatre grains d’ellébore
Je sais que c’est Michel habitant de Montaigne qui le premier écrivit
Que sais-je ?
Je sais que kalè k’agathè zôè signifie
une vie belle et bonne
 
Ce que je sais ce qui est mien c’est la mer indéfinie*
 
Je sais que Ponge a écrit le savon :
dont nous sortons d’ailleurs les mains plus pures
 qu’avant le commencement de cet exercice
 
Je sais qu’il y a loin de la coupe aux lèvres
Je sais qu’on ne peut courir deux lièvres à la fois – quoique !
Je sais que la voix de ma bien-aimée est plus douce que le chant des étoiles **
Je sais que l’ennui naquit un jour de l’uniformité***
 
Je sais bien que dans le lit à mes côtés
tu n’es plus là
mais quand même
je n’y crois toujours pas
 
 
Je sais qu’il n’est pas sûr qu’Ève soit née de la côte d’Adam
Je sais que certains exégètes traduisent
Ève naquit à côté d’Adam
 
Je sais je songe je neige je nage je passe la page
de cette dernière nuit d’été
à ceux qui ont été
à celles qui naissent de l’écume
des nuits transfigurées
 
 
 
*Henri Michaux épreuves exorcismes
 ** Norge le vin profond
 *** Antoine Houdar de la Motte les amis trop d’accord