ART DE NOUS RENDRE HEUREUX

ART DE NOUS RENDRE HEUREUX par l’écriture de textes faits à la main avec des mots puisés dans les mots de livres épuisés Au bout d’une vie d’exercice de la poésie, ma conviction la mieux ancrée est que celle-ci, la poésie, ne va nulle part. 1 De là qu’elle ne serve à rien, il n’y a qu’un pas, que nous ne franchirons pas. Pas plus que nous ne demanderons Pitié pour nous qui combattons aux frontières de l’illimité et de l’avenir 2  Art de nous rendre heureux par la lecture d’infinis traducteurs qui remettent sans cette notre Odyssée sur le métier : Muse, dis-moi le héros aux mille expédients, qui tant erra, quand sa ruse eut fait mettre à sac l’acropole sacrée de Troade 3  C’est l’homme aux mille tours, Muse, qu’il me faut dire, celui qui tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte   O Muse, conte-moi, l’aventure de l’Inventif celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra Chante par ma voix, Ô Muse, l’Homme aux nombreuses ruses qui tant et tant fut chahuté, après (que l’une d’elle eût permis) la mise à sac de la fortification inexpugnable de Troie Et pour ce qui est de la notion de « traducteur », après avoir « listé » une somme d’impressions venues des choses et des êtres qui dans la réalité l’ont entouré, (soit  l’ombre d’un nuage qui nous enveloppe en passant sur le pont de la Vivonne, une phrase admirable de Bergotte, l’écrivain, une remarque à mi-voix faite par le narrateur chez les Guermantes, un peu grisé par leurs vins), l’auteur-phénix de la littérature française conclut ainsi sa phrase : Je m’apercevais que, pour exprimer ces impressions, pour écrire ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain, n’a pas, dans le sens courant, à l’inventer puisqu’il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur. 7  Art de nous rendre  aptes à nous dessaisir de la magie du verbe qui faisait mousser les images surréalistes, voilà que notre  Bergère Ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin 8qui anticipait le Manifeste, se transforme dans le sonnet d’un mathématicien en Une amoureuse à la grande poste du Louvre (qui) Pousse fébrilement sa lettre dans la boîte…Un jeune homme aux cheveux de pohètes L’attend sur le trottoir mangeant des cacahuètes 9 Art de nous rendre sensible au fait que même si nous constatons la désertion par « les masses » du fait poétique (excepté dans le domaine de « la bonne chanson française ») la messe n’est pas dite : Qu’un oiseau rouge dans l’aube Entre et se repose Un instant parmi les livres  Vaut la peine de vivre 10

1 Salah Stétié 2 Apollinaire 3 Médéric Dufour et Jeanne Raison 4 Victor Bérard Jean Bérard Robert Flacelière 5 Philippe Jaccottet 6 Jean-Claude Angélini 7 Marcel Proust 8 Guillaume Apollinaire 9 Jacques Roubaud 10 Claude-Henri Rocquet

PROUST OUSTE!

Des questions sans réponses c’est le miel des curieux

Narrateurs anonymes rêveurs mystérieux

Un jeu de l’alphabet à la fin d’un voyage

Où l’on fit maints détours dans des textes en marge

Accumulant les choses utiles et superflues

Des voyages au long court comme une phrase de Proust

Des lectures au cœur du flux et du reflux de nos vies

Et des singes grammairiens qui devant tant de signes

Disent Ouste !

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

QUINZE DÉPARTS DE TEXTES FULMINANTS

1

DES VENTS

Des vents, louvrage dun poète philosophe aristotélicien, des vents étésiens, du zéphyr toujours doux, du terrible Mistral, du vent de mer provoquant sur ma plage du Golfe de Fos, une petite houle qui fait crier de joie les enfants et leurs papis. Faisant frémir, en marge de tout ce qui sécrit dans les derniers journaux imprimés, ma page.

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

TOUS NOS TEXTES RESTENT INACHEVÉS comme nos vies 38, 39, 40





trente-huit

C’EST VRAIMENT ÇA LE HIC, devenir cette personne dont on ne sait plus grand-chose, même pas le nom qui s’efface un peu plus chaque nuit à partir d’un certain âge. (D’où le chapelet de pseudos (hétéronymes) qui abondent chez les auteurs de littérature.)

(Nerval, Lautréamont, Saint-John Perse, Perec : chassez l’intrus.)

Ainsi me voilà luttant en grand secret et à contre-courant dans ma barque démâtée,  dans le clair-obscur de l’aurore, éclairé par la toile inaugurale de Monnet : impression soleil levant.

Je m’éloigne des choses et des événements, mais sans me précipiter, sans m’abandonner à cette fuite en avant, qui nous conduit au bord d’une falaise « d’êtres-en-tas ». (Il fallait oser la faire celle-là, citation mêlant Jean Sol Partre et Guy des Deux-Bords.)

E la nave va.





trente-neuf

ENTRE DEUX SOMMES – c’est toujours cette histoire des nuits où je ne dors que par intermittence-

je poursuis mes correspondances secrètes avec les auteur.e.s du monde entier. Cette nuit c’est, sans l’intermédiaire d’une traduction, la lecture de ce romancier complètement chiflado, (fou), qui cultive l’art de disparaître dans des pages sans fin, d’un individualisme implacable : silencio, exilio y astucia. Silence, exil et ruse (astuce).

Dans mon énième somme, le troisième si j’ai bien compté, j’ai rêvé de New York. Je passais en vélo, devant les tours jumelles enterrées, et j’entendais Dieu me dire : “Mira, guardo silencio porque no me gusta alardear de haber creado el mundo.” (Écoute, je reste silencieux parce que je n’aime pas me vanter d’avoir créé le monde.)

citation Enrique Vila-Matas (Esta bruma insensata)





quarante

TOUTES NOS PHRASES INCOMPLÈTES ressemblent à la vie, qui, en fin de compte (et de conte), n’est jamais à la hauteur de nos espérances. Je me suis endormi sur cette phrase, mais une heure après, je suis réveillé par le rêve brumeux d’un ciel lourd comme un couvercle, semblable à celui du spleen baudelairien, une image d’angoisse, qui a lourdé mon sommeil.

La dernière fois que j’ai acheté un exemplaire des Fleurs, c’était à la sortie d’un oral de ma fille. Elle avait subi les assauts répétés de ces deux examinateurs (« un homme et une femme »), qui, manifestement, n’appréciaient guère son interprétation de je-ne-sais-plus-quel poème. (Je vais demander lequel à l’intéressée).*

Je m’étais empressé de le relire, dans l’édition de poche, préfacée par Yves Bonnefoy. Quant à l’examen, il se passait dans la salle Claude Le Louche. Ceci explique peut-être cela. Tous nos textes restent inachevés, comme la vie (etc).

  • Causerie poème LV des Fleurs du mal

BRINS DE RÊVES BRINS DE TEXTES BRINS D’OSIER

hypnographie 1/8




JE VOUS DONNE DES BRINS

Brins de rêve brins de textes brins d’osier.

Rêve de la gargouille qui voulait se faire aussi grosse

 que le bossu de Notre Dame.

Texte du gargouilleur

à la peau d’églantine et au tissu d’agave.

Osier teint au curare pour soutenir la braise

et les escarbilles du mythe de l’éternel retour :

Je l’entendis chanter jadis sur les rives

 du fleuve descendant du Paradis.*

Je vous donne des brins d’une vie singulière

Avant qu’ils ne soient cendres

Faites en votre miel.





*l’Orénoque…crut Colomb quand il le découvrit