ÉCRIRE JUSQU’AU DERNIER CARRÉ

Sous l’Histoire, la mémoire et l’oubli,
Sous la mémoire et l’oubli, la vie.
Mais écrire la vie est une autre histoire.
Inachèvement.

Paul Ricœur


La main passe sur le sable
La page d’un jardin zen
Avec ses graves
Semées ici et là

Petites pierres
Petits cailloux
Scrupules que l’on planta
Sa vie durant
À genoux

Depuis l’enfance de l’Art
Jusqu’au dernier carré
Qui restera
-de toutes les manières-
Inachevé







LE TEMPS PASSE ET REPASSE

Le temps passe et repasse
Comme la pointe aiguille
V5 hi-tecpoint
Sur mon carnet

Le temps passe et repasse
Comme les motifs sur le sable
D’un jardin Zen
Les gens d’Hokusai sous l’averse
Les spectateurs du Festival montant en foule
Au palais des Papes

Le temps passe et repasse
Comme les mariages dans les fermes du Lauragais
Comme l’enterrement de ma Dulcinée
Les nymphéas sur les toiles de Claude Monnet

Le temps passe et repasse
Comme le sable du Sahara
Dans le tableau d’un artiste marocain
Que je tourne et retourne
Dans ma bibliothèque
En dérangement perpétuel

Le temps passe repasse

Le temps passé
Une barque qui chavire
La nuit engloutie

sabler sahara bible du Temps qui passe et repasse

QUELQUES RICOCHETS SUR MON ROMAN DE BAMBOU 23,24,25





vingt-trois

DEUX NUAGES SUR UN OPÉRA DE BAMBOU, minutieuse, (peut-être), mais méticuleuse, point. Cette préface sans signature, dont on peut supposer qu’elle fût dictée par l’auteure, avait le charme des formules à l’emporte-pièce, où régnaient la bonne humeur et l’innocence d’un premier ouvrage qui allait être publié.

« IMAGINER sans retenue, mais, OBSERVER lucidement », lisait-on aussi. Et par exemple, à propos d’un vers unique ainsi libellé, « Deux nuages sur un opéra de bambou », la narratrice précisait que cet alexandrin (fortuit), lui était apparu, alors qu’elle essayait de jouir d’un premier somme, s’endormant sur une nouvelle, traduite du japonais et qui avait pour cadre le célèbre jardin Zen de Kenroku-en.

Je rallumais et notais ce vers unique sur un petit carnet à spirale, comme on note les silences, sur une partition de musique contemporaine ressemblant à un calligramme.





vingt-quatre

SACHANT QUE J’AVAIS L’INTENTION DE FAIRE DE LA LITTÉRATURE, elle m’avait fait appeler pour me faire savoir que chez elle, je rencontrerais des écrivains. Autant me convier à une soirée d’ombres chinoises, avais-pensé immédiatement. La seule envie d’écrivain ou d’écrivaine que j’imaginais, c’était de les voir, en cachette, en train d’écrire à leur table ou ailleurs, et d’observer tous leurs tics et manières, minutieusement ; leurs ronrons au milieu d’un salon était pour moi la négation de leur profession.

Je préférais lire Balzac qui épuisait ses plumes et encriers des nuits entières.

Je me privais ainsi de la jouissance des conversations sans fin, et j’ignorais que ce pauvre Honoré, obsédé par l’argent, se tuait à la tâche pour envoyer aux journaux ses textes bouclés qui paraîtraient sous forme de  feuilleton, avec en prime un peu d’argent frais qui lui permettrait de rembourser ses créanciers.





vingt-cinq

CE QUE J’AIMAIS EN TE LISANT, ma chère inconnue, rencontrée par hasard, dans ce salon de plein air, c’était nos croisements inattendus, évocations de tel ou tel personnage, paysage, ramages, que je faisais « ricocher » sur des aspects de ma vie, jusque-là enfouis dans ma mémoire morte. Oui, en te lisant, je ressuscitais ce coucher de soleil vu depuis la dune du Pilat, je réentendais un trio de jazz soutenant une chanteuse russe à Washington Square Park, je courrais comme un dératé devant les taureaux  lâchés dans les rues durant la feria de Vic Fezensac, je tournais autour des statues de reines « saintes et dames illustres » du jardin du Luxembourg, en me remémorant quelques vers de Nerval et de Villon.

C’étaient ces forces de renouvellement, qui nous permettent de déchiffrer en nous-même, des pensées qui d’habitude nous échappent.