J’écris toujours en avance d’une rame de papier
J’écris dans le métro des poèmes métrorimés
J’écris allongé
J’écris une fois la tête bien calée sur l’oreiller
sans bouger
J’écris par intermittence
J’écris en écoutant le corps
J’écris sous sa dictée
J’écris aussi dans ma tête sans laisser de traces
J’écris alors comme les calligraphes de la vieille Chine
J’écris comme Tchouang Tseu
traduit et remis en jeu
par Jean-François Billeter
J’écris à jeun :
la cafetière à portée des écrivains très peu pour ma pomme
J’écris dès que je me réveille d’un premier somme
J’écris sans en faire tout un pataquès
J’écris patac un coup porté sur le nez
(comme on disait dans les bals de mon adolescence
quand entre bandes rivales ça se frittait)
J’écris avec beaucoup de fritures sur la ligne
J’écris comme jamais dans une mer sans poissons ni rivages
J’écris comme un fantôme vivant
Comme un brigand près des prophètes de profession
J’écris en disant à mes correspondants
qui veulent prélever une mes fleurs
pour la mettre dans un bouquet universel,
faites faites !
J’écris sous la lumière crue d’une Odyssée
aussi extraordinaire qu’incertaine
J’écris d’île en il, d’aile en elle
J’écris comme cet avion sans ailes
chanté par Charlélie Couture
J’écris couturé de frais
J’écris cétacé
J’écris c’est assez de contourner
des lagunes et nos lacunes,
nous les hommes,
de n’avoir pas porté, puis libéré,
l’être nouveau expulsé de la mer primitive
J’écris au- delà du bien et du mal
de la syntaxe crépitante
et de la flèche tirée au bal des prétendants
J’écris pour la seule bonne nouvelle annoncée,
sortant du pavillon de l’aurore :
Un.e enfant nous est né.e !