AU DOS DES CARTES POSTALES

« Et pour finir ces formules sans poids qui me navraient,

Ton père affectionné, ma grande, et tous ces bons baisers,

Au goût de colle, de buvard et d’encre violette.

Jacques Réda (La fête est finie)

Tant de temps a passé, tu lis au dos de cartes postales des messages qui parlent sans trêve du bonheur d’exister. On t’avait écrit de Bretagne,  de Catalogne, du Pays Basque, d’Italie (de Firenze précisément)  et même, bien qu’à l’époque ce n’était pas fréquent, de New York. Bons baisers de Barcelone, Sous la statue de la Liberté j’écris ton nom,  Tonnerre de Brest comme dit Françoise. On est confondu par tant de banalités. On est ému aussi en suivant l’écriture unique, issue d’une main qui, à défaut d’être solaire, portait les marques d’un apprentissage scolaire.

Tant de temps a passé, mon cher ami, bien chers tous, ma chère fille, mon amour.

Je pense à toi, je pense à vous deux,  je vous embrasse,  cent mille bacci, je te salue, ciao.

une carte postale électronique venue d’Ozon Hautes Pyrénées le 20 octobre 2024

J’AI CONNU

J’ai connu le tablier gris des écoliers et le jeudi des quatre dimanches où l’on chômait

J’ai connu l’écriture à la plume sergent major que l’on trempait dans l’encrier en porcelaine fiché dans la table en bois (le pupitre)

J’ai connu le tableau noir où le maître, plus rarement la maîtresse, nous permettait de faire claquer ou crisser les craies de toutes les couleurs, mais principalement la craie blanche comme neige

J’ai connu tous ces petits bonheurs de l’enfance 

Je  l’affirme croix de bois croix de fer et je le signe sur mon site numérique mesurant ainsi la distance abyssale qui nous sépare de cette époque d’un commencement qui n’en finit pas

JE PERDS LA MAIN

Le vide est plein de choses

Le problème c’est qu’on ne les voit pas

Enrique Vila-Matas

Je perds la main

Sur mon poème

Qui résonne en vain

Sur des objets ordinaires

Un pot de fleurs

Une panière

L’eau et le pain

Le sel des choses

Et leurs couleurs

Et plus encore

Ce que naguère

On appelait

Leur Beauté

Perdue inexorablement

Poème inspiré par

l’exposition au Canet de

Bonnard et la poésie d’un objet ordinaire

Bonnard peintre heureux

Qui fait chanter les couleurs

Bonnard peintre mystérieux

Qui ouvre les fenêtres

Des représentations mentales

Des choses…

Vence 15 août 2024

EN COMPAGNIE DE BARTLEBY

Moi qui n’arrête pas de noircir des carnets de textes inédits je suis pourtant aussi un adepte du héros de Melville, Bartleby le Scribe, employé en qualité de copiste dans un cabinet juridique situé à Wal Street, mais qui refuse peu à peu les tâches que lui propose son chef, le narrateur embarrassé de ce récit. I would prefer not to, (J’aimerais mieux pas) est la réponse répétée par le personnage melvillien tout au long du récit.

Et pour le reste on ne sait pratiquement rien sur lui. Simplement on le surprend debout qui regarde longuement à travers une fenêtre de l’officine un mur de briques du fameux quartier financier de New York.

Voilà qu’en évoquant le phénomène Bartleby, témoin d’une profonde négation de toute activité professionnelle, je suis encore tombé dans mon péché mignon qui est d’en faire des tonnes en parlant d’abord au papier puis à l’ordinateur qui transcrit mes balivernes.

Et pourtant moi aussi il est possible qu’un jour je signe la fin de cette écriture. Je dirai adieu aux choses d’ici bas que l’on écrit isolé face au mur blanc de sa chambre.

Je doute que quelqu’un me demande de continuer. Mais si c’était le cas je me transformerai sans barguigner en un Bartleby bis : Encore écrire ?J’aimerais mieux pas.

COMPLÉMENTS

J’aimerais mieux pas t’écrire poème

Il fait trop triste dans mon cœur
Et trop de morts en moi se meuvent





J’aimerais mieux pas

Mais voilà c’est le paradoxe

Le premier vers hardi se pose

Sans que je l’y invite

Sur cette page qui se défend

Mais n’en peut mais





J’aimerais mieux pas j’aimerais passer

Mais comme une mécanique

Ma main magnétique continue

À Dada sur mon papier





Lors me retrouve bon gré mal gré

Poète dépourvu incapable d’interrompre

Ce labeur contrefait





Et puis flûte ! Réflexion faite

Je dois à mon grand dam le constater

En faisant à contre cœur ce poème

Tristesse et douleurs ont passé





Il était temps de l’avouer