COQ À L’ÂNE

Les coq à l’âne

Ce sont nos colloques

Le coq coquetant

Et l’âne ânonnant

Ce sont les abois

Et les braiements

.

Les coq à l’âne

Ce sont les grands opéras

Qui assomment Liliane

Et c’est le tour de chant

De monsieur Jean Ferrat

C’est un joli nom camarade

.

C’est au grand Kamtchatka

Le tcha tcha tcha

De nos belles giboulées

C’est le conflit des interprétations

Entre la pipe de Magritte

Et celle du pape Pipu

.

Coq de Socrate

Coq de Jésus

Coq picorant

Le père Ubu

Coq amoureux

D’une pendule

Coq au vin

.

Le coq à l’âne

C’est à foison

C’est la cuvée

Du sang impur

Sur nos sillons

Ce sont nos vers

Qui se retournent

Boustrophédons

LA NUIT BLEUE

La nuit bleue cette nuit se laisse porter par cette houle bienfaisante
Elle libère l'oxygène des phrases en apesanteur
La nuit bleue est une algue que je mâche sans compter
En contant des histoires à dormir debout aux Néréides petites filles de l'Océan


La nuit bleue est un phare éclairant la planète sous influence des petits vents d'ici
Nuit de l'oltramarino lapis-lazuli
Pour des pharaons recomposés  et un chat qui récite moqueur le poème de Baudelaire
Malédiction de la caste la plus basse
Intouchables à qui l'on vole quelques feuilles d'indigotiers
La nuit bleue s'abreuve au lait caillé et à l'urine des vaches sacrées
La nuit bleue terre à terre mot à mot
et sa musique balançant son Mood Indigo

Nuit baroque où les hommes bleus du désert
gravissent la montagne de Cézanne
Épouvante des Romains et des gens du Coran
Chinois fuyant l'ennemi aux yeux bleus
Le vierge le vivace et le bleu d'azurite et de café moulu



Vol erratique d'un martin pêcheur
et jougs bleus des bœufs de mon père
Libérés des mouches et des taons
Portant l'enfant des nuits et des boustrophédons
ad libitum

UN DICTIONNAIRE À PART MOI

Vient de paraître 
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

Une entrée du dictionnaire qui en comporte 222  

BOUSTROPHÉDONS

Où je suis né on me l'a dit*
Mais ceux-là même sont partis
depuis longtemps hélas. Mon père,
ma mère, essentiellement.  

Dans une maison de village,
face à l'église qui sonnait
mâtines, midi, l'angélus.
Personne ne s'agenouillait.   

Ma rue - je ne sais plus son nom -
Traversait alors la commune,
Je la quittai bientôt pour une
autre, dite du pré de long.  

C'est là que j'appris à courir,
Mes genoux portaient la couronne,
Petit Poucet rieur offrant
Miettes d'enfance au royaume.   

Mes parents étaient paysans.
Pas un sou mais quelle richesse :
Lait veau vache cochons couvées
Blé maïs et pommes de terre. 

Quelquefois je guidais les bœufs,
Mon père faisait ses sillons,
Qui aurait dit qu'il me montrait
Ainsi l'art du boustrophédon :  

C'est tourner d'une ligne à l'autre
Le sillon égale le vers.
Lui semait le blé dur, l'épeautre,
Mon champ est plus imaginaire.  

Je le sais mais je persévère.

*Georges Perros (Une vie ordinaire)

BERGERONNETTES ET BOUSTROPHÉDONS

La poésie n’est pas la vérité : elle est résurrection des présences, histoire transfigurée en vérité du temps sans date.
Yvon Belaval (1908-1988)

Dans ma rue
entre le sept et le onze
une bergeronnette
fait interminablement
son numéro

Elle suit la charrue
de mon père
qui tranche la terre
de Boulbène
comme du bon pain

Elle est jaune
mon amour
et tu le sais
il n’y a que moi
qui voit la petite fée
suivre le sillon
et se retourner

Exactement
Comme ces vers
Que l’on appelle
Boustrophédons
Exactement
Comme ce chant perdu
Du bouvier
Qui plante dans mon cœur
Son aiguillon




nb Roland Barthes m’autorise à appeler les éléments rapportés dans ce ce poème des "biographèmes »