ET DE QUOI MEURT-ON ?

Et de quoi meurt-on ? Si ce nest du Temps qui nous joue, la vie durant, de la mandoline, ce petit instrument à forme damande, avec ses six cordes doublées à lunisson, dont Vivaldi fit un concerto sublime pour les jeunes filles quil saoulait de musique à « lOspedale de la Pietà. »

Et de quoi meurt-on ? Si ce nest de pitié pour un cheval frappé à mort, sur une place de Turin, par un cocher ivre danimalité, et que Nietzsche dans un dernier geste embrasse à lencolure avant de seffondrer pour léternité.

Et de quoi meurt-on ? À Sète cette fois, sur les pentes du « Cimetière marin », sur une page où la forme décasyllabe hume la future fumée de Valéry, lImmortel à lépée académique.

Ou bien, cest en bas, au cimetière des pauvres, que lautre sétois, « lhumble troubadour », exhibe sa « Supplique », en alexandrins sil-vous-plaît, faisant du pédalo, « éternel estivant », sur la plage de la Corniche.

Et de quoi meurt-on ? « Ce n’est guère important », pense Montaigne « plantant ses choux » et « nonchalant » dElle faucheuse, camarde, camarade du dernier souffle.

Ou bien, surprise du chef, cest Rambour le poète de Bayeux qui maide à pousser mon dernier soupir, dans une page de son ouvrage La nuit revenante, la nuit. Car on meurt de tout cela, jusquà la dernière note de mandoline sur le générique1

1 Jean-Louis Rambour LA NUIT REVENANTE, LA NUIT  Edition des Vanneaux (2005)

Mais on peut aussi « refuser de mourir » :

PHÉNIX

En procédant à limpossible rangement des livres de mes bibliothèques, jai effacé tous les noms dauteurs. Des voix anonymes sélèvent du papier, images de lévidence poétique ou paroles qui peu à peu séteignent.

À la fin, ma librairie est réduite à une planche branlante de cerisier.

Le peu de livres réunis ont retrouvé un auteur unique refusant de mourir ;

Oiseau des vents, pierre vive, arbre enchanté, métaphores vives embrasant Phénix.

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi