PSYCHANAZOUILLIS (un dictionnaire à part moi)

PSYCHANAZOUILLIS

Jamais je n’eus l’envie de me coucher sur un divan pour raconter ma vie
C’était pourtant plutôt mode « à mon époque » comme l’on dit

Se coucher zyeux au plafond avec un type derrière soi qui ne dit mot
mais qui consent à prendre un gros billet après la séanc’ ? Non merci

Moi raconter ma vie c’était rien de pesant
mais j’aimais dialoguer et j’aimais mes parents

Et puis tout le jargon « condensations transferts »
toutes ces associations qu’aiment les psychanazouillis
je les réservais à mes poésies

Un demi-siècle après qui l’eût cru ? J’ai conservé cette manie

Je parle au papier comme au premier venu*
Et ce sont mille voix Qui me traversent la nuit

*Michel de Montaigne

Un dictionnaire à part moi 
Jean Jacques Dorio
Les Editions du Net

222  "entrées" 189 pages 16 €
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Merci mille et une fois
JJD

TROIS LECTEURS PREMIERS FAISANT GRANDIR LE LIVRE

Des fragments autobio-sémantiques, un abécédaire singulier où le plaisir de l'écriture ne nous quitte pas. On déambule aux détours des lettres et des mots et on découvre des alcôves lyriques, géographiques et poétiques. Prose ou poésie ? Abécédaire ou Autobiographie ? Provence ou Ariège? Tout n'est qu'hybridité pour le plus grand plaisir du lecteur.  Camille

Les mots de cet abécédaire fourmillent, papillonnent, s’éparpillent et l’on ne saurait plus où donner de la tête si ces fils n’étaient réunis dans une fantastique toile / palimpseste par ce poète mué en araignée rien moins que besogneuse. On aimerait citer ici le beau mot de passementerie qui constitue une entrée de ce dictionnaire et dit à lui seul le tissage du texte, passementerie sans menterie aucune ou alors un mentir-vrai qui ne se départit jamais de sa fraicheur. Le passé et le présent se faufilent avec grâce. André

Sous une forme originale alternant des entées en prose et en vers, le « Dictionnaire à part moi » de Jean Jacques Dorio nous offre de savoureuses tranches de vie. Son écriture malicieuse est aussi empreinte de tendresse et de nostalgie : nous passons du rire aux larmes, et le suivons avec intérêt dans toutes les étapes - parfois fort romanesques ! - de sa vie. Qui aurait cru que l’ordre alphabétique pût si bien révéler toute la complexité d’une existence ? Pauline




COMMENT J’AI QUITTÉ LE DIVAN : deux lettres d’un zèbre à la sortie de son analyse

Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça…

                                            Georges Pérec (La vie mode d’emploi)               





       

         Oui…mais non. Ce n’est pas ainsi, que ça va commencer.

C’était pourtant, semblait-il, réglé à l’avance, comme sur du papier musique.

            Mais voilà, les trois à quatre feuillets, sous forme de lettre, qui devaient rendre compte de cette expérience unique, ont été commencés, entamés, raturés…et tous jetés au panier.

            Ce n’était pourtant pas la mer à boire, il fallait juste essayer de faire remonter à la surface des pages quelques mots, de laisser traces d’un espace, toujours le même, où l’on avait été prié, invité, sollicité, de parler « comme ça venait » :

            – Tout ce qui vous passe par la tête, avait dit l’analyste.

            Oui…mais non. Cette lettre qu’il fallait écrire, pour rendre le conte audible, s’enlisait dans l’hiver des précautions oratoires, dans « lebuisson de questions », où, a dit un poète, nul oiseau ne peut faire entendre son chant.

            Et d’abord, et surtout, les destinataires de la lettre s’évanouissaient les uns après les autres.

            Ma chère Alice, Mon cher Jean, Très honoré professeur, Très chère dormeuse… toutes ces formules d’appel et de reconnaissance ne pesaient pas lourd et la glace n’arrivait toujours pas à se rompre.

            Le dégel des paroles, cette hache de Kafka qui doit « briser en nous la mer gelée », se manifesta pourtant, de la manière la plus inattendue et triviale, un jour que notre homme mangeait des gnocchis chez Riri, le restaurateur du coin. Voilà que c’était venu, sur un coin de table, sur une nappe de papier. V.  était resté jusqu’au soir,  remplissant quatre nappes d’écriture et un cendrier de gitanes papier maïs.

            Puis, retour rue Linné, au fond de la cour, repas avec Marguerite, repos sur le divan en écoutant « Tomorrow is the question » de Coltrane/Don Cherry…et le reste.

            Enfin, autour de minuit, V. assis à son immense bureau, lardé de coup de plumes sergent-major, avait commencé le tapuscrit des quatre lettres promises.

            Quand il rangea sa vieille Hermès Azertyuiop, l’aube d’été aux doigts roses illuminait sa rue et le jardin des plantes attenant.

                                                           Paris, café de la Marine, le 7 juillet 1977

            Ma chère Alice,

                        Je t’ai promis de t’envoyer un mot quand je serais sorti du labyrinthe de l’analyse. Voilà, c’est chose faite. J’émerge, j’existe, j’en sors.

                        Mais pour y parvenir, tu t’en doutes, ça n’a pas été toujours folichon. Enfin, j’ai parlé tout azimut et j’ai gardé le silence, j’ai rouvert les plaies mal cicatrisées, je suis monté au trapèze, sans avoir la moindre idée de la manière de redescendre, jusqu’au jour où j’ai entendu, avec surprise, mon bredouillement se changer en une voix étrange qui me disait le fin mot de l’histoire.

                        Ce jour-là je raturai divan pour le remplacer par divin.

            Et maintenant je repose en paix.

                                                    Je t’embrasse Alice.

                                                              Valentin

PS 1   En relisant certains exercices oulipiens que nous avions faits en commun au Moulin de Jézeau (Hautes Pyrénées), j’ai retrouvé ce délicieux distique écrit par notre amie Jacqueline et qui te va comme un gant :                                                                       

                                                 « Assise dans cet immense

                                                    Jardin du temps suspendu »

J. Saint-Jean

PS2 « Les éléphants sont généralement dessinés plus petits que nature, mais une puce toujours plus grande. »

                                                             Jonathan Swift         

                                                         (Pensée sur divers sujets)

PS3 Je me souviens des choses faites en commun : la préparation d’un bortsch pour nos trente ans, la répétition à chacune de nos rencontres de ce vers jubilatoire : « Soyez russe, borusse, anglais, autrichien, »l’achat d’un borsalino aux puces de Saint-Ouen, les promenades enfantines  au Parc Montsouris. 

                                               Paris 7 juillet 1977

                                                     assis sur un banc du parc Montsouris

                        Mon cher Jean,

            C’était quand déjà ? Cette question réitérée, suscite tu le sais, chaque fois que nous nous rencontrons maintes plaisanteries – et jamais les mêmes. Mais cette fois, ce n’est pas pour rire; il y a une réponse : c’était, réellement, du 1° mai 1971 au 18 juin 1975.

            Quatre ans pour rêvasser sur un divan, en regardant les moulures et les fissures du plafond, allongé, la tête, sur un mouchoir blanc, en ouest-nord-ouest, les pieds en est-sud-est.

            Quatre ans dans ce lieu clos, hors temps, scandé par les séances rituelles, scrupuleusement notées sur mon agenda d’un grand S., que je faisais suivre, après coup, d’une épithète plus ou moins dérisoire : merdouilleuse, cafouilleuse, nostalgieuse, filandreuse, mais aussi, quelquefois, chic, bath, mastoc, rococo.

            Mais allons droit au but : tu m’as demandé « un retour d’expérience », mais sous l’angle de la ruse, comme si, telle la déesse Métis, j’écrivais accroupi sous le siège de Zeus.

            Un rude défi, tu en conviendras. Essayant toutefois de ne pas trop te décevoir, je me suis souvenu de ces séances où, pour conjurer le silence, je m’étais inventé un clown intérieur qui jonglait avec ses phantasmes, papa-maman, zizi-panpan, ses chiasmes et ses manières de contourner l’obstacle.

            Comme l’Autre, assis derrière moi sur son fauteuil, se faisait oublier, la plupart du temps, au lieu de faire machine arrière, d’actionner la navette du refoulé d’antan, comme il était convenu, je me mettais à vaticiner, changeant de registre, de voix, de débit. Des gamineries, rappelant nos rêveries d’anticipation par l’attrait du narquois, du paradoxal, du stravagant.

            Ainsi ai-je le plaisir de joindre à la présente ces quelques improvisations hors propos freudien, que je recopiais sur sainte Azertyuiop, en revenant des séances de sublimation.

            Et peut-être, somme toute, ce furent ces exercices cachés qui hâtèrent l’ultime révélation.

            Mais chut! Aucun ressac ne navre encore ces aurores.

                                   Je te serre la pince de nos Causes Communes.

                                                           Valène

PS1 Tu peux tituler mes vaticinations : le lieu d’une ruse.

PS3 Aphorisme : « athée récent, échangerait bon dieu vivant, contre bon vieux divan. » DAC

PS2 Exergue : « le génie c’est l’erreur dans le système. » KLEE

            NB   Les lettres au  Très cher professeur et à la Très chère dormeuse, sont pour l’instant introuvables. Avis de recherche aux amateurs qui aiment fouiner dans les cabinets particuliers.

            Les citations ainsi marquées sont de Georges Pérec : la citation est donc le lieu (au sens plus rhétorique que spatial) élémentaire de l’improvisation, le chemin ou, au moins, le relais nécessaire de toute invention.

JJ Dorio

LECTURES :

Georges Pérec : Les lieux d’une ruse (Cause Commune 1997); et tout le reste.

David Bellos : Pérec « une vie dans les mots. »

Jean Duvignaud: Pérec ou « la cicatrice. »

PSYCHANAZOUILLIS





Jamais je n’eus l’envie

de me coucher sur un divan

pour raconter ma vie





C’était pourtant plutôt mode

« à mon époque »

comme l’on dit





Se coucher zyeux au plafond

avec un type derrière soi

qui ne dit mot

mais qui consent

à prendre un gros billet

après la séanc’ ?

Non merci





Moi raconter ma vie

c’était rien de pesant

                                                                 mais j’aimais dialoguer

et j’aimais mes parents





Et puis tout le jargon

« condensations transferts »

toutes ces associations

qu’aiment les psychanazouillis

je les réservais à mes poésies





Un demi-siècle après

qui l’eût cru ?

J’ai conservé cette manie





Je parle au papier comme au premier venu*

Et ce sont mille voix

Qui me répondent la nuit





*Michel de Montaigne