LE LECTEUR A POSÉ SA VALISE

LE LECTEUR A POSÉ SA VALISE Le lecteur que tu es a posé sa valise dans une ville moyenne du sud de la France méditerranéenne une lourde valise nécessitant roulettes et une poignée comme une canne que l’on tire de bas en haut Elle est pleine de livres quelle surprise ! tous ceux que tu aurais aimé écrire et dont tes yeux ont usé la trame  tes yeux et aussi tes oreilles quand certaines pages se mettent littérairement à te parler Tu as vu ainsi cette vieille chamane goajira qui dans les sables ventés de son bout de presqu’île se mettait à parler et à se disputer parfois avec un cactus candélabre Un lecteur qui ne fait pas frémir et dialoguer sa page la réduit à du bois mort

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CINQ QUATRAINS MALADROITS

Parler pour ne rien dire
Ou parler comme on peut
Tourner autour du pot
Sans y laisser sa peau

Faire et laisser dire
Faire la part du feu
À l’écart en a parte
Accoucher d’un quatrain

Quatre à quatre tourner
Les pages du Littré
Et soudain s’arrêter
Sur une citation, scotché

Qui ce qu’il aime plus regarde
Plus allume son cœur et l’arde 1
Qui a écrit ce texte maladroit
Range à présent ses flèches
Dans son carquois


1 Roman de la Rose (orthographe actualisé)

voix de celui qui a écrit ces cinq quatrains maladroits

RAISONS D’ÉCRIRE LIRE PARLER SE TAIRE AIMER HAÏR

RAISONS D’ÉCRIRE   S’autoportraiturer Se déplacer D’un moi au je Se prendre au jeu Laisser entrer L’autre monsieur L’autre madame Fraternité Sororité D’un moi au nous Des mots qui nouent Ce que l’on croyait Indicible Impossible à dévoiler Sur une carte Un bout d’papier D’écran d’clavier Raisons d’écrire en boucle d’éternité

RAISONS DE LIRE S’asseoir Pour se soulager Dans le cabinet de Lecture Fréquenter l’enfer de la BNF Les cent mille verges La maison de passe de Marcel Les odeurs de papier Des premiers livres de poche Se livrer Aux pages vierges et vivaces du Bel Aujourd’hui Et aux poèmes décadents de Jadis et naguère Se saouler de Complaintes et de Correspondances Prisée par tout lecteur Sous l’espèce des yeux Contemplant son éternité

RAISONS DE PARLER Parce que nous avons été enfant Avant que d’être homme Parce que nous avons aimé le combat entre la Barbe Bleue et Shéhérazade Parce que nous avons voulu prouver l’innocence de Dreyfus Et des jeunes filles en fleurs Parce que nous aimons causer comme Zazie dans le métro Parce que nous aimons tutoyer Mesdames et messieurs Ceux qui parlent pour ne rien dire Et celles que nous aimons pour l’éternité

RAISONS DE SE TAIRE Caute Méfie-toi Écrit Spinoza Fais gaffe On va te reconnaître Sous ton ortografe Tes pseudos Tes secrets d’un Momo Qui peigne la girafe Tes paroles en l’air Tes pastiches De Marseille ou de Caen À quand le secret Du temps retourné À la source cachée Sub specie æternitatis

RAISONS D’AIMER Si on commence à faire la liste de toutes les raisons d’aimer C’est qu’on n’aime plus
RAISONS D’HAÏR De H la grande hache de l’Histoire à ÏR ce refus spinoziste de la Grand’Ire !


les raisons voix passante

FADAISES IMPASSES COMMENT Y VOIR CLAIR ?





Je relis mes fadaises

Elles sont faites des mille et une voix

posées ici

sur ce mode d’emploi imaginaire d’une poésie

en train de s’inventer





Je provoque les étincelles de mes roues à aube

avec le bois du cèdre et le torrent des œuvres

qui les fait continûment tourner :

Libérez-vous de servitude et de vos idées arrêtées

Et passez outre la confusion et la discorde

dictées par la rumeur du monde





Je relie mes impasses

À la trop grande impatience

Qui pousse à la rue les égarés

Dialogues de sourds Refus de s’accorder





Je tâche d’y voir clair

Dans les choses inconnues

Qui viennent de ces mots

Qu’il faut apprendre à taire

Quand tout est confusion





Mais quand je les confie au papier

J’oublie toute prudence

Et laisse résonner

 Un parler ouvert ouvre un autre parler et le tire hors

Comme fait le vin et l’amour*





* Montaigne

S’il est impossible de voir « un kangourou tourner un moulin à café », il est encore possible de lire « la chanson du jardinier fou »









S’il est impossible de voir un kangourou tourner un moulin à café, il est encore possible de lire la chanson du jardinier fou, imaginée par Lewis Carroll et traduite de l’angliche.

S’il est impossibled’entendre la voix de Montaigne enregistrée sur bande magnétique, il est encore possible de le lire comme s’il parlait au papier.

S’il est impossible de sauver la planète bleue, il est encore possible de la peindre en vert.

S’il est impossible d’assister à son enterrement, il est encore possible d’en faire une répétition en invitant la fanfare des Quatr’z’arts.

S’il est impossible d’ouvrir la lame du couteau auquel il manque le manche, il est encore possible chaque dimanche d’offrir des roses blanches à sa jolie maman.

S’il est impossible que mes morts hâblent, il est encore possible, en utilisant une rime équivoquée,  d’écrire cet aphorisme mémorable.

S’il est impossible de coucher son malheur sur un cahier d’écolier, il est encore possible de se coucher bonne heure à la Recherche du temps perdu.