J’ÉCRIS opus 13





J’écris de bric et de troc
de titres de romans édités par Balland
le Seuil Albin Michel
Minuit et Calmann-Lévy

J’écris pour calmer l’ardeur à rechercher
L’homme à tête d’oiseaux, 
La femme Schibboletch,
L’enfant des grandes lessives

J’écris sans réveil, montre,
monstres marquant le temps des horloges
et qui font sommeiller la raison

J’écris d’un seul coup d’un seul
ou par à coups :
arrêts plus ou moins longs,
points morts et reprises

J’écris depuis peu aussi sur l’application Samsung Notes de mon smartphone,
premier texte devant l’exposition Zao Wou-Ki, à l’hôtel Caumont d’Aix en Provence :

l’animal l’animot le torrent de coulures les pattes de la lune la tête de Michaux […] bateau ivre à la Sainte Victoire le pin palpite sur la montagne de Cézanne saisie par un calligraphe octogénaire qui livre sans le savoir son dernier combat […]

J’écris conscient que moi aussi un jour ou plutôt une nuit je perdrais définitivement la voie

J’écris avec mon stylo fétiche V5 hi-tecpoint réfractaire à l’invention du baron Bic

J’écris ornithorynque pour voir ce que ça va donner sur le papier
(les internautes recherchent aussi échidnés, monotrème, wombat, castor, koala…)

J’écris « bec de canard cousu sur la fourrure d’un animal », comme l’écrivirent les scientifiques anglais découvrant le dessin du premier ornithorynque rencontré en Tasmanie, croyant qu’il s’agissait d’un canular

J’écris sans prétention aucune : orgueil, vanité, amour-propre, suffisance (je recopie lintern@ute)

J’écris pourtant comme s’il s’agissait de petits secrets échangés à la récré avec les élèves Perec, Montaigne, Mallarmé

J’écris imaginant les lettres échangées entre eux

J’écris à Jean Jacques Dorio comme si je m’appelais Marot

J’écris de haut en bas et quand j’ai atteint le bas, je referme les yeux et rêve de Rio de Janeiro































 




LES PÂQUES D’UN PAÏEN INACTUEL









Agenda impersonnel 29 mars-04 avril 2021

2h46  Personne : masque souvent grotesque de l’acteur antique. Chaque personne, homme ou femme, continue ainsi de faire en société son cinéma. Malheur à ceux et celles qui sont dupes de leur personnage. Paradoxalement Pessoa (Personne en portugais) s’inventa plusieurs noms de plume qu’il appela ses hétéronymes. Il était Álvaro de Campos, poète avant-gardiste et décadent, qui écrivit dans un élan métaphysique « Bureau de Tabac ». Il était Alberto Caeiro, versé dans la phénoménologie. Il était Ricardo Reis et António Mora. Et son livre le plus fameux Livro do desassosego (Livre de l’intranquillité) fut l’œuvre de Bernardo Soares. Son quotidien, il le nomma « ennui ésotérique ». Tout un programme.   2h66





Mardi 30/03/2021

1h37   Alors que j’écrivais ces variations sur Personne, la dernière ancêtre Dorio, côté ferme de Daumazan sur Arize (Ariège), cousine germaine de mon père, s’éteignait à 94 ans. La repousse désormais a lieu à partir d’ici, passant des terres occitanes au bord de mer provençale, celle que Valéry du haut de son cimetière marin décrivit comme toujours toujours recommencée.  1h44





Mercredi 30/03/2021

4h18  Je me réveille ayant rêvé des aphorismes de René Char. Jeune lecteur, poète en herbe, ils m’enchantaient. Les yeux bien ouverts cette fois je reprends les XXVII fragments de À la santé du serpent. Je n’ai qu’une formule sans égards ni patience pour le maître de l’Isle sur la Sorgue : Char à Bia.     4h26





Jeudi  01/04/2021

18h50  Me voilà lisant Paris Match, le poids léger des mots, le choc amorti des photos. Pour un ancien fervent de Mai 68, on dirait qu’en lisant cet hebdo, j’ai mangé mon chapeau. Mais j’ai ma petite idée que je vais avec tous ces gens prisonniers de leurs personnages tâcher de développer.   19h03





Vendredi 02/04/2021

7h23  Ouverture des volets : 3 pies jouent sur les râteaux de l’antenne de télé de la maison d’en face, un goéland rame mélancoliquement.  7h25





Samedi 03/04/2021

1h12  Je viens de trouver un nouveau cycle d’écriture : « dialogues intérieurs », en mode mineur et si possible plutôt blagueurs.   1h14





Dimanche 04/04/2021

8h59  Tout de suite c’est l’écriture d’un dimanche de Pâques d’un païen inactuel, de la dernière indienne de la Terre de Feu et d’un philosophe sysiphéen remontant son rocher sur lequel pendant la nuit a poussé un acacia.   9h11

SALUT L’ARTISTE !

« Marine le matin » Guy Toubon monotype acrylique (11,5×14 cm)




À Guy Toubon





Je lis, au dos d’un carton, « monotype » original, dont m’a fait don mon ami T, « Salut l’artiste ! » (sic),

mais je ne sais pas, à vrai dire, à quelle part du « moi », ce « salut » est adressé.

« Al otro, a Borges », me souffle malicieusement le maître incontesté (formule un peu creuse, non ?), du dédoublement.

Je me hasarde alors, imitant l’auteur de Ficciones, d’écrire que de cet autre (Dorio, en l’occurrence), j’ai des nouvelles par courrier postal (rarement, mais toujours tout de même) et par courrier électronique, « le courriel » de nos amis québécois, quotidiennement.

« Salut l’Artiste », c’est tout un poème, un jeu avec le « je », qui persévère, dans une fugue, en contrepoint, d’un « moi » massif et quelque peu ridicule, passé à la moulinette de métaphores qui ne sont dans aucun dictionnaire.

Je ne sais pas, pour terminer par une note borgésienne, lequel des deux, de « moi-même » ou de l’Artiste, a écrit ce feuillet d’un hiver où les vrais « artistes », pour cause de maladie contagieuse, n’ont plus voix au chapitre.





16/01/2021