SUR LE PAPIER ET SUR L’ÉCRAN

Sur le papier et sur l’écran

J’écris à n’en plus finir

La nuit et sa béance

Ma plume en l’absence

De mes correspondants

Hommes et femmes

.

Faute de mieux je fais des vers

Qui n’ont hélas aucune fame

Plus fol que sage j’use mes gammes

De pensées sauvages et de bri-collages

.

Sur le papier blanc comme neige

Et sur l’écran noir des coups tordus

Sans aucune explique

.

Si ce n’est un énième exercice

d’une écriture qui déplace les mots

Et les morceaux de phrases

Passe d’une ligne sur l’autre

Avec des insertions

Et des approximations successives

.

C’est une lutte contre l’écrivaillerie

dixit Montaigne

qui en faisait le symptôme

d’un siècle débordé

par les écrits

sur les choses vaines

.

Ma plume en l’absence

achève là son essai

dans l’insatisfaction

Je me console en pensant

que les choses vaines

mises de côté

il est encore temps

de s’améliorer

L’HEURE HORS TEMPS

Le livre nouveau d’un professeur émérite qui vient de quitter le Collège de France (relire à la fin Le cadeau sans fin ) cite maintenant un livre de poèmes en espagnol paru en 1958 Il s’agit de La hora sin tiempo de Jorge Blajot (1921-1992) « considéré comme un poète existentialiste, avec une vision profondément religieuse, très sensible au mystère et au paradoxe de la foi ». À propos du titre, que j’ai traduit L’heure hors temps, voilà que par ricochet le livre d’un Japonais paru en 1330, apparaît : Heures sans temps, Au-delà du temps, À l’intérieur du temps, les titres se chevauchent.

Je m’apprête à abandonner ma lecture sur écran quand, sur un site prolongeant les recherches poétiques de La hora sin tiempo, un abécédaire magique apparaît à mes yeux. Il s’agit d’une sorte d’atelier d’écriture proposée aux participants, qui tirent des mots au hasard, recopiés sur des cartes en couleur, puis doivent répondre à certaines sollicitations, du genre : quels souvenirs évoquent pour vous le mot Ausencia (absence), quel rapport avec un événement particulier de ta vie ?

Ainsi apparaissent

Abrazo Agua Águila Amanecer Amigo Amistad Atardecer Ausencia

Caminar Camino Cansancio Casa

Desierto

Esperanza Espinos

Flor

Hermano Hogar

Intimidad

Justicia

Lámpara Libertad Llamada

Madre Manential Mano Mar Muerte Música

Naufragio Niño Noche

Pan Paz Piedra Primavera

Regazo Roca

Sencillez Sendero Silencio Soledad Sufrimiento

Torrente Trabajo

Ventana Verdad Violencia

En les recopiant scrupuleusement j’aperçois leur pouvoir, celui de faire signe, d’ouvrir la possibilité d’un poème en prose, chemin faisant.

11 avril 10h52

PAISIBLE ET BUCOLIQUE

J’écris sur l’écran

Le nouveau papier

Où s’inscrivent

Les perles rares

Les perles confites

Les perles qui font

La peau au temps

Qui déjà fait entendre

Son quart de siècle

Dans les sonnailles

Des brebis portant

Leurs agneaux nouveaux

Et le tohu-bohu baudelairien

D’un monde qui se défait

Perdant ses liens

Paisibles et bucoliques

Pour la guerre à outrance

Des poutinotrumpiens

UN LIVRE UN COUTEAU UN ÉCRAN

Je dors avec un laguiole sur ma table de chevet. Nul crime en perspective, mais le couteau me sert à découper les pages d’un livre publié par l’éditeur Corti. Cette nuit il s’agit d’un passage sur la poésie fugitive définie par la prestigieuse Encyclopédie. Ces petites pièces sérieuses ou légères qui s’échappent de la plume d’un auteur en diverses circonstances de la vie. Diderot et d’Alembert seraient bien étonnés de voir leur définition apparaître sur un écran tactile. Reste ce livre que je découpe page à page, pour le plaisir de découvrir un langage qui me tient en éveil, entre deux sommes.

PAGES D’ÉCRAN

Soyez prudent
Avec les pages
Qui sur l’écran
S’affichent
Virtuellement

Un simple clic
Et elles passent
À la trappe
À l’attrape nigaud
Des lecteurs solitaires
Et glacés

Soyez ouvert
Aux caractères qui flottent
À ces fragments d’existence
Que l’on se plaît
À partager
Entre lecteurs
Solidaires chaleureux