ON N’ÉCRIT PAS SANS Y LAISSER DES PLUMES

On n’écrit pas sans y laisser des plumes, plumes gauloises ou sergent major, que l’on mouillait sur son poignet avant de suivre la ligne où l’on traçait avec application ses pleins et ses déliés. Ainsi l’on s’imagine sur son banc d’écolier recopiant avec soin la Morale du jour :  il faut s’appliquer et persévérer. On n’écrit pas sans y laisser ses plumes de jeune oiseau piailleur puis de vieil animal gouailleur qui s’amuse à déconstruire la fable du monde. On n’écrit pas sans ses rêves d’enfant, désormais aux cheveux blancs, oiseau de vie qui nous picore, oiseau de mort qui disparaît avec notre corps.

Astoria dans le quartier du Queens New York 14 mai 2018 pour le premier jet, Martigues 20 décembre 2024 pour cette version.

A NOIR

Écrire ainsi

C’est complètement inactuel

Mais ça m’amuse

C’est le tour de passe-passe

d’un A noir

écrit à blanc

Sous la dictée du dedans

Si je m’appelais Victor Hugo

J’aimerais de cette lettre blanche

le bruit charmant

Un bruit d’esprit qui s’évapore

Comme un poème finit

Quand vient l’aurore

poème original

ÉCRIRE PARLER SE TAIRE

Écrire n’est pas parler faisant entendre et cris et rires

Écrire n’est pas pleurer à grosses gouttes sur la grand route

Écrire n’est pas plaider la mort du Roi ou l’amour de la Res Publica

Écrire c’est la plupart du temps  rester sans voix

Se taire

*

RAISONS DE PARLER Parce que nous avons été enfant Avant que d’être homme Parce que nous avons aimé le combat entre la Barbe Bleue et Shéhérazade Parce que nous avons voulu prouver l’innocence de Dreyfus et des jeunes filles en fleurs Parce que nous aimons causer comme Zazie dans le métro Parce que nous aimons tutoyer Mesdames et messieurs Ceux qui parlent pour ne rien dire Et celles que nous aimons pour l’éternité

RAISONS DE SE TAIRE Caute Méfie-toi écrit Spinoza Fais gaffe On va te reconnaître sous ton ortografe des murs de Mai Tes pseudos Tes secrets d’un Momo qui peigne la girafe Tes paroles en l’air Tes pastiches de Marseille ou de Caen À quand le secret du temps retourné à un futur cette erreur d’éternité

ÉCRIRE JUSTE

Écrire juste

Juste écrire

Écrire ses forgeries

Publiées chez Corti

Dont chaque page

Est à découper

Au couteau

Écrire coûte

que coûte

en connaissance

de cause

Cette langue

Qui prend soin

de jointer

Les mots et les choses

Le hasard et la nécessité

Le visible et l’invisible

Et qui s’efforce de tenir tête

au monde factice

Qui sur X

Nous précipite

Dans les eaux infernales

Du Styx

ÉCRIRE LIRE

Raisons d’écrire : Faire ses autoportraits en mouvement selon les années Se déplacer du moi au je Se prendre au jeu des autres en nous Des mots qui nouent et qui dénouent ce que l’on pensait impossible à dire et que l’on essaie de dévoiler sur une carte un bout de papier un écran désormais Raisons d’écrire en boucles ironiques d’éternité

Raisons de lire : S’asseoir pour se soulager dans le cabinet de lecture le « lieu » privilégié des poètes de sept ans à soixante-dix sept ans, Fréquenter l’enfer de la B.N.F où le poète d’Alcool recopie le manuscrit interdit des cent mille verges Se saouler des poèmes décadents de Jadis et naguère Lire à haute voix Don Quichotte à sa dulcinée S’inspirer des pages vierges et vivaces du bel aujourd’hui prisées par tout lecteur en quête de beauté

Raisons de lire et d’écrire conjointement et toujours comme dit le poète quelque part dans l’inachevé