EN COMPAGNIE DE BARTLEBY

Moi qui n’arrête pas de noircir des carnets de textes inédits je suis pourtant aussi un adepte du héros de Melville, Bartleby le Scribe, employé en qualité de copiste dans un cabinet juridique situé à Wal Street, mais qui refuse peu à peu les tâches que lui propose son chef, le narrateur embarrassé de ce récit. I would prefer not to, (J’aimerais mieux pas) est la réponse répétée par le personnage melvillien tout au long du récit.

Et pour le reste on ne sait pratiquement rien sur lui. Simplement on le surprend debout qui regarde longuement à travers une fenêtre de l’officine un mur de briques du fameux quartier financier de New York.

Voilà qu’en évoquant le phénomène Bartleby, témoin d’une profonde négation de toute activité professionnelle, je suis encore tombé dans mon péché mignon qui est d’en faire des tonnes en parlant d’abord au papier puis à l’ordinateur qui transcrit mes balivernes.

Et pourtant moi aussi il est possible qu’un jour je signe la fin de cette écriture. Je dirai adieu aux choses d’ici bas que l’on écrit isolé face au mur blanc de sa chambre.

Je doute que quelqu’un me demande de continuer. Mais si c’était le cas je me transformerai sans barguigner en un Bartleby bis : Encore écrire ?J’aimerais mieux pas.

COMPLÉMENTS

J’aimerais mieux pas t’écrire poème

Il fait trop triste dans mon cœur
Et trop de morts en moi se meuvent





J’aimerais mieux pas

Mais voilà c’est le paradoxe

Le premier vers hardi se pose

Sans que je l’y invite

Sur cette page qui se défend

Mais n’en peut mais





J’aimerais mieux pas j’aimerais passer

Mais comme une mécanique

Ma main magnétique continue

À Dada sur mon papier





Lors me retrouve bon gré mal gré

Poète dépourvu incapable d’interrompre

Ce labeur contrefait





Et puis flûte ! Réflexion faite

Je dois à mon grand dam le constater

En faisant à contre cœur ce poème

Tristesse et douleurs ont passé





Il était temps de l’avouer

PAGES D’ÉCRITURE


Je me bats chaque jour avec mes pages d’écriture
Je parle comme disait Montaigne au papier
Je voyage dans les mots que je ne connaissais pas
(cette nuit c’est berloque et talharpa)
Je me frotte aux passages qui me fécondent :
sur la mémoire et l’oubli
la guerre et la paix
la dispersion et l’identité
les exercices de style
et le livre de l’intranquillité
Bercé au gré des longs courants
Qui serpentent entre les pages
Quand j’écris au galop
Je n’ose pas me relire
Et quand je me relis
J’entends un disque rayé

ÉCRITURE DE NUIT

Écriture de nuit
C’est tout un poème
Au soleil des mots
C’est vaille que vaille
l’alliance du calcul
et du délire sacré
C’est la phantaisie
de la verticalité
L'Écriture d’un cheval
écumant du col et des naseaux
C’est le dieu des fontaines
Où l’on noie les schizos
Écriture des nuits
La grâce d’un instant
La brassée de voyelles
Où l’on cherche
L’or du temps

MATIÈRE À POÈME


C’est de l’or et du purin
Le sable fin des pavés
La Commune utopique
Le sang versé par les Versaillais

C’est ma communale
Mon école accordéon
Des apprentissages rêvés
Et d’une vita nova

C’est ce qu’il nous faut creuser
Malgré tous nos déboires
Cherchant à y voir clair
Face à ce qui se dérobe*

C'est maintenir nos petits dispositifs
Qui font de l’écriture d’un poème
Mille ajustements créatifs
Où le corps en action
Élève notre esprit

*Henri Michaux

IL NE FAUT PAS CROIRE QUE CETTE ÉCRITURE HEUREUSE

IL NE FAUT PAS CROIRE QUE CETTE ÉCRITURE HEUREUSE coule à flots à jets continus Non la main est arrêtée parfois très longtemps par des pensées embrouillées qui réclament non que l’on s’y arrête comme font les personnes qui s’obstinent à trouver une solution à leur malêtre mais qu’au contraire on décide d’ignorer on sort alors son art-parapluie comme le dit crûment un personnage de Mario Vargas Llosa la vida es una tormenta de mierda, en el que el arte es nuestro único paraguas fauti traduire ?