BOUTS DE TEXTES

Je perds sans cesse des bouts de textes

C’est ainsi écrire et perdre

Comme un tissu qui s’effiloche

Accrocs de l’espace et du temps

Bon vent mauvais vent

Quand les absents ont toujours tort

Et les présents s’amoncellent

Sous le sapin des souvenirs

On regarde la vague

Et l’on se dit que les guerres prolifèrent

Les fracas des haines emportent au loin les enfants

Alors nous pleurons sans larmes

En attendant l’aurore

Danielle Nabonne

Pour Poésie mode d’emploi

LE RETOUR DE LA BARBARIE

 PEU À PEU NOUS GLISSONS NOUS AUSSI DANS CETTE ÉPOQUE DE BARBARIE qui fut propre à la guerre voulue par le führer comme une réplique à la grande boucherie de 14-18 avec en supplément l’enfer sur terre de la Shoah.  « Une guerre de 30 ans de 1915 à 1945 », l’expression est de George Steiner qui s’interrogea sur « les correspondances étroites qui existent entre les structures de l’inhumain et la matrice environnante des civilisations avancées. » Autrement dit « Pour quelles raisons les traditions et les modèles de conduite humaniste ont-ils si mal endigué la sauvagerie politique ? » Questions multiples envisagées dans « Le château de Barbe-Bleue » : « Je m’attends à ce que nous poussions la dernière porte du château, même si elle ouvre, ou peut-être parce qu’elle ouvre, sur des réalités hors de portée de la compréhension et de l’autorité humaine. Nous le ferons avec cette clairvoyance désolée que la musique de Bartok rend si bien, car c’est le mérite tragique de notre condition que d’ouvrir des portes ». Même si contrairement à l’optimisme des Lumières elles nous ont précipité vers l’Enfer des Camps où « les pleurs des condamnés les empêchent même de pleurer » : Lo pianto stesso li pianger non lascia / e’l duol che truova in sugli occhi rintoppo / si volge in entro a far cresser l’ambascia. Les pleurs mêmes y empêchent de pleurer / et la douleur devant leurs yeux obstrués / se tourne au-dedans en une torture plus grande. Dante L’Enfer chant 33. Et cependant Steiner termine son Essai en penchant vers « la conviction irrationnelle et même indécente qu’il est passionnant de vivre ce moment tardif et sans pitié de la civilisation occidentale. » Une gaya scienza encore de mise en 1970-71, mais aujourd’hui ?

Je ne parlerai pas
Des arbres en feu
Ni des bêtes
En fuite

Je ne dirai rien
De l’épouvante
des guerres
De la terre
De l’air
Et des mers
le Saccage

Je parlerai 
Tout bas
De la douceur du soir
Et des poèmes
Anciens
L’espoir
Au creux des mots

Je parlerai
Longtemps ...

Danielle Nabonne


Je parlerai tout bas de la douceur des soirs

photographie de Danielle Nabonne Ozon (Hautes Pyrénées)

PIES MÉSANGES BERGERONNETTES





Ces vers construits à la diable

Ne seront jamais déclamés

Ni imprimés ni portés

Dans la brouette des suppliciés





Ils sont pourtant les vers

D’une terre en jachère

Qui ne connut ni les horribles camps

Ni le désastre des guerres

Mais les oiseaux des champs





Pies mésanges bergeronnettes