TU NE CESSES D’ÉCRIRE

 

tu ne cesses d’écrire
les yeux fermés
tu ne cesses de voir
les fantômes du passé
dans la mémoire
d’une nuit d’encre
 
tu ne cesses d’écrire
ce que tu ne savais pas
que tu allais écrire
ce à quoi sans ton écriture
tu n’aurais jamais pensé
 
tu écris à la diable cette histoire vécue
une nuit que tu dormais seul
dans une vielle bicoque de l’altiplano péruvien
entouré de crânes et de momies
réveillé par un être incréé
sur les minuits
qui grattant à l’huis
suppliait – par Viracocha ! –
que tu le laisses entrer
 
tu ne cesses d’écrire
sur la pointe des pieds
les paradis perdus
ton épouse déchirée
les promesses non-tenues

  tu ne cesses d'écrire
sans espoir et sans but
mais quand même sans rature
le geste de l’archer
l’orthographe libérée
l’insouci de la rime
 
tu ne cesses d’écrire
c’est fini à présent
tu peux tout effacer

FANTAISIES IMMÉMORIALES

 


FANTAISIES IMMÉMORIALES
un POURQUOI J’ÉCRIS auquel je ne peux répondre qu’en écrivant,
différant sans cesse l’instant même où, cessant d’écrire,
cette image deviendrait visible,
comme un puzzle inexorablement achevé.
                             Georges Pérec     
 
Le projet de laisser par écrit, - on ne sait trop quoi en définitive –
au départ les éléments d’une biographie singulière
 - qu’on le veuille ou non – sans trop de précaution,
mais quand même, avec lenteur, en choisissant ses mots,
non sans quelque méprise, … ce projet-là, pour l’essentiel,
nous met en mouvement, nous occupe, nous libère.
Cependant que les recherches se font dans les papiers
accumulés un demi-siècle durant, sur le disque dur de l’ordinateur,
les clés USB…et le reste.
La pauvreté et l’innocence du corps du monde,
des lettres reçues des peu d’ami.e.s réel.le.s qui me restent.
Le passage de témoins pour la commodité particulière de mes deux filles,
quand elles m’auront « perdu »,
un peu comme blaguait l’illustre châtelain de Montaigne
s’adressant aux lecteurs intimes, et infimes croyait-il,
de ses Essais.
Car, disons, ce soir particulier,
un samedi d'octobre de l’an deux mille dix-neuf,
l’histoire de ma vie n’existe pas.
Nous l’appellerons fantaisies immémoriales.
Avec une partie adressée à la femme
qui a partagé le meilleur de nos vies :
- Je te parle chaque jour depuis le rocher de ma pointe noire,
réactivant nos mémoires anciennes,
car la proche s’est effacée, irrémédiablement.


DANS MON JARDIN D’ÉDEN

Le monde va au pire
Je le lis sur ce livre
Au demeurant joyeux

Dans mon jardin d'Éden
C'est le jour des amandes
Qui rosissent au soleil

Un livre de lectures
Fait par un dyslexique
Qui marchait en lisant
Pour retrouver sa langue

Les martinets m'enchantent
Je laisse mes lectures
Et m'envole avec eux

C'est midi juste ciel
Un air frais sous l'azur
Ma mémoire vacille

J'abandonne ces lignes
Paradoxal bon heur
Je ne sais qu'ajouter









	

LA ROUE DE MÉMOIRE

La  Roue de Mémoire en haut en bas notre force fragile





À l’instant crient les martinets dans le soir d’un 3 août

Mon père les appelait faucilhs*

Sa faux il l’aiguisait consciencieusement

avec ce petit marteau en croissant de lune

dont je ne connais pas le nom

mais dont j’entends encore le bruit





Percussion qui me remémore les six maîtres de Strasbourg

qui eurent le génial projet d’assembler les peaux les bois et les métaux

du Monde Entier

-crotales cloches gongs cencerros mokubyos tablas-





Nous nous croisâmes un soir à Caracas où après leur concert au théâtre municipal

Ils me demandèrent s’il était possible de rencontrer Papillon le bagnard hableur

dont les éditeurs malins avaient fait un succès de littérature





Nous ne prîmes pas le lépidoptère dans nos filets

Mais ce fut un plaisir de danser dans la rue

au son des instruments locaux

harpe criolla maracas cuatro

Tout en criant à tue-tête – le rhum aidant –

l’injonction de Michaux :

Épervier de ta faiblesse Domine !**





* occitan





** Michaux + pièce de Stibilj pour les Percussions de Strasbourg