IL FAUT SE MÉFIER DES MOTS

Il faut se méfier des mots. Ils sont toujours trop beaux, trop rutilants et leur rythme vous entraîne, prêt à vous faire prendre un murmure pour une pensée.

Jean Tardieu





IL FAUT DE MÉFIER des beaux parleurs

surtout s’ils s’autoproclament « poètes »

Mais on peut se fier à celles et ceux qui donnent sans compter

leur petite musique avant toute chose

Il faut se méfier des grandes œuvres et des prix

de l'industrie littéraire

Mais on peut se fier au moindre moi à mi-voix

autour de minuit hors du monde qui bruit

Il faut se méfier de la french theory

de ce moment d’histoire

où chaque déconstructeur brandissait sa petite hache

Mais on peut se fier aux livres que l’on aime et que l’on lit et relie

aux Essais à La métaphore vive au Fleuve caché des poésies

Il faut se méfier des poèmes éteints dans les pages sans voix

Mais on peut souffler sur les cendres pour raviver les braises de Phénix

Il faut laisser les hommes querelleurs s’opposer et se disputer sans fin

Et dans le réel en apparence démonté*

Il faut prendre soin de bien assembler

les mots les images et nos pensées…

pour tâcher d’y voir clair





*Jean Tardieu  

UN LONG REGARD SUR LE CALME DES DIEUX


manuscrit premier jet
sur fond de toile aux encres et acryliques
titre :
il n’y a pas de mots dans mes figures
Dorio





 
UN LONG REGARD SUR LE CALME DES DIEUX
 
Activité :
dans l’esprit de ces lettres qui vont composer peu à peu le corps de mon texte,
j’agis, je déplie l’éventail de mes capacités, en conscience.
Conscience, claire et confuse, ou plutôt, la confusion m’est naturelle,
mais je cherche par essais successifs, à y voir plus clair.
Mes maux proviennent des souffrances réelles d’une vie fléchée
par les dieux malins et cruels, et par les mots pour le dire qui, à la diable, s’entrechoquent, à tort et à travers.

Je cède alors, comme dit le Poëte, l’initiative aux mots.
Mais céder n’est pas concéder :
Aussi bien, en tant qu’il a des idées claires et distinctes,
qu’en tant qu’il a des idées confuses,
l’Esprit s’efforce de persévérer dans son être pour une durée indéfinie
et il est conscient de son effort.
C.Q.F.D.

 Ma boucle pour l’heure semble se refermer, mais c’est pour mieux,
tant que je vivrai, toujours toujours recommencer :

Espérance après une pensée qu’un long regard sur le calme des dieux.

*
 
merci à Spinoza et à Paul Valéry
moi humble troubadour
sur eux je renchéris
selon Brassens
 


 
 
 
 

MOTS EN SABLIER

 

MOTS EN SABLIER
 
Prenez un mot
Prenez-en deux
Zéphyr  Mystère
Anophèle Pharmacopée
Ciel et Terre
 
Mots dans la main
 Faites tourner
 Avec amour
Avec la mer
  Imaginaire
Attentionnée
 
Et puis lancez
Et envoyez
 Vos coups de dés
 Primesautiers
Sur la page  
Ainsi constellée  
 
Et à la fin
Mots en noyau
Mots délivrés
Ouvrez les bans
 L’heure a sonné
 
Et retournez
Votre sablier

	

J’AI BEAU LES RETENIR LES MOTS M’ÉCHAPPENT

 

J’ai beau les retenir les mots m’échappent
Je connais leur danger leur manque de réalité
Mais je suis dans l’arène le taureau est lâché
Je le cite je l’incite à passer à côté
Mais rien n'y fait
 
J’ai beau les retenir les mots m’échappent
Vaniteux mesquins égocentriques
Intrigants facétieux – Passez au large
leur dis-je Laissez-moi à ma guise robinsonner
 
Mais  ils ne m’écoutent pas
Ils s’écoulent sans cesse
Fleuves intranquilles Pierrots lunaires
Fils d’Ariane emmêlés
Sur mes cahiers raturés

 
Ils passent d’un lieu à l’autre
D’un livre terminé à un livre recommencé
Jusqu’au jour –cette nuit – où les mots enfin m’abandonnent :
Y con eso quedo dicho todo*
Voilà…tout est dit !
 
*derniers mots de Bartleby y compañia
Enrique Vila-Matas (2000)