À LIVRE OUVERT



À livre ouvert mais sans trop de pouvoir sur ces lignes qui se déroulent et s’échappent comme des serpents

À livre ouvert faisant crisser les mots gros-gras-grand-grain-d’orge qui nous remettent en tête nos années théâtre en Mai 68 où nous chauffions nos voix d'acteurs amateurs

À livre ouvert aux aurores rose du ciel comme avant une journée d'été brûlante

À livre ouvert pages arrachées et qui s’envolent capricieuses offertes à notre humaine condition qui en ces temps crépusculaires aiment plus que jamais célébrer les couleurs les lumières et les sons
Hans Reichel (9 août 1892-7 décembre 1958) 
Composition 1954
aquarelle et encre de Chine sur papier
19,3x27,3 cm
découvert avec enthousiasme au musée de Lodève ce 12 juin 2025

PAGES D’ÉCRITURE


Je me bats chaque jour avec mes pages d’écriture
Je parle comme disait Montaigne au papier
Je voyage dans les mots que je ne connaissais pas
(cette nuit c’est berloque et talharpa)
Je me frotte aux passages qui me fécondent :
sur la mémoire et l’oubli
la guerre et la paix
la dispersion et l’identité
les exercices de style
et le livre de l’intranquillité
Bercé au gré des longs courants
Qui serpentent entre les pages
Quand j’écris au galop
Je n’ose pas me relire
Et quand je me relis
J’entends un disque rayé

DES PAGES SOUS LA MÉMOIRE ARDENTE D’UNE ÉCRITURE



Comment un livre de poèmes a engendré l’écriture de ces pages

À RAS
Jean-Marie Corbusier
Edition Le Taillis Pré
Décembre 2023


J’ai lu une fois À RAS le dernier opus de Jean-Marie Corbusier sans prendre la moindre note.
Toutes ces pages, une à une, et aussi la lecture des pages en vis-à-vis, qui procurent quelques « chocs verbaux » salutaires.
Puis, relisant, « à sauts et à gambades », j’ai effacé le côté désespérant de certains passages (Chanter/dans le vide des présences/faire semblant),
pour m’attacher au côté « allant », stimulant (Le mot frappé d’innocence/ défait à l’usage/ je l’aurai traversé).
Et puis soudain, surtout, la disposition et le rythme de chaque page m’a inspiré.
Je me suis souvenu alors du meilleur Éluard 1 et me suis lancé à mon tour dans une écriture, page à page,
« où la mémoire ardente se consume, pour recréer un délire sans passé » 1

1 Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poètes ont toujours de grandes marges blanches,
de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé.

Paul Éluard

Cher Jean Jacques,
Merci pour ce montage poétique qui rassemble où les poèmes se donnent les uns aux autres dans leur humilité respective.
Les poètes ont trop tendance à se figer dans leur moi et leur solitude.
Ici, tu les obliges à sortir d'eux-mêmes, à s'aventurer vers l'autre, le différent et le même.
Amitiés.
Jean-Marie Corbusier


1

JE ME SUIS PERDU
cette nuit
corps et âme

Aussi j’ai besoin
de l’écrire

de faire
cette expérience
de pensée

Sur la page
d’une tabula rasa

À ras
Pour repartir
d’un bon pied

2

Ce que j’écris me précède
Jean-Marie Corbusier
À Ras

CE QUE J’ÉCRIS
me renouvelle

m’éparpille
m’étincelle

Mais la page
veille

Son rythme
Sa présence

Sa passe
Son transfert

Et l’appel
des marges

3

Sans me retourner
Jean-Marie Corbusier
À Ras

SANS ME RETOURNER
le passé aboli

les pas d’Orphée
mais sans les cris
d’Eurydice

Ma lyre est
ma guitare sèche

d’où sortent
des chansons

enregistrées
au Petit Mas

Mes pages
de partitions
multiplient
les accords renversés

et battent toujours
la chamade

4
NOS QUOTIDIENS
passent
peu ou prou

dans l’indifférence
ou l’échange vif

le feu en nous
ou les contes glacés

une page blanche
ou quelques paragraphes
posés
sur nos journaux intimes

5
LAISSEZ-VOUS BERCER
par cette page

Elle est à naître
je le sais bien
Mais vous l’adresser
Facilite son écriture

Vous la lirez
à vos moments perdus

Et puis la page
Essaimera
Ou redeviendra
blanche

6
MARQUER SON TEMPS
sur une page
où l’on ébauche
un poème

une esquisse
comme celle d’un sourire
dit-on

sans hâte
et en silence
et sans prise
de tête

sauter
de ligne en ligne
sans fin


7

JE T’AI À L’ŒIL
me dit
la page blanche

une voix intérieure
intimidante

à l’œil ?
mon œil !

lumière blanche
lumière noire

un éclair
et ma page
elle n’y voit
que du bleu


8

IL FAUT RECOMMENCER
Autour de minuit

Échanger nos silences
Par une page
Écrite en aveugle

Noter
Au plus profond
De soi

Ces quelques minutes
Où l’on parle au papier
Comme si l’on y croyait
Pour l’éternité

9

OÙ RESPIRER?
Mais dans le poème

Aérien
Libéré
Des tracas
Et des peines

La main
Sur le papier

La page écrite
Pour durer

Ou disparaître

10

ICI

C’est aussi
ailleurs

« En Arles
Où sont les Alyscamps »

À Montmartre
le soir

Dans la demi-brume
A Londres

Ici

Sur les pages
d’une anthologie
personnelle

Où l’on prend garde
de ne pas succomber
à la douceur des choses 1


1 Paul-Jean Toulet


Martigues dimanche 17 mars 2024


11

J’ÉCRIS AUX AURORES

à jeun
dans mon lit

Une mésange
vient frapper
au carreau

Quelle nouvelle
m’apporte-t-elle
de bon matin ?

J’imagine le pire

Mais sur ma page
« poussière de lune »

J’écris :

La journée sera belle

Vendredi 15 mars 2024 8h08


12

UNE DERNIÈRE PAGE

Apaisée

La forme
avec joie épousée
s’est peu à peu
épuisée

Inutile dès lors
de se triturer
les méninges

d’ajouter une pièce
dans la machine
(à faire ces poèmes
à ras bord)

On ferme

Martigues samedi 16 mars 2024

ICI

ICI

C’est aussi
ailleurs

« En Arles
Où sont les Alyscamps »


À Montmartre
le soir

Dans la demi-brume
A Londres

Ici


Sur les pages
d’une anthologie
personnelle

Où l’on prend garde
de ne pas succomber
à la douceur des choses 1



1 Paul-Jean Toulet


Martigues dimanche 17 mars 2024

ICI AUSSI

Le jour point sur la ligne de pin avec des nuages d’ouate qui se baladent là-bas à l’horizon de mon texte

De grandes sautes de vent et d’idées qui passent et qui repassent

Livres des courants d’air et des feuilles d’herbes

De ma lucarne ce ne sont pas ardoises du toit que j’entrevois

Mais patience du cœur et amis envolés


Et- peut-être est-ce le ciel de ma fenêtre? - ce que jadis on appelait douceur