IMPRESSIONS SUR PAPIER FRAGILE

IMPRESSIONS SUR PAPIER FRAGILE

J’ai vu à la Royal Academy de Londres une toile
comme une étoile qui tombe
sans que personne ne la regarde
C’est l’ébauche d’une montagne qui présente
quelques griffures au crayon noir
et un peu d’eau jetée sur des couleurs pastels discrètes
avec une surface de papier en réserve

C’est la dernière oeuvre de Paul Cézanne,
une japonaiserie sans signature
(exposition Impressionists on Paper)

J’ai lu grâce aux travaux de recherche de ma fille Pauline Dorio,
ces conseils de Charles Fontaine (13 juillet 1514-mort à une date inconnue)
qui devraient m’inciter, « écrivant barthésien », à cacher 9 ans ces écrits pour ne pas qu'ils se transforment en essais vains :

Car raison veut que je les avertisse
Qu’ils n’ont pas eu de poète notice
Qui dit qu’on doit garder ses vers neuf ans
Pour ce qu’on doit craindre flottes et vents
Lorsqu’on transporte et qu’on met en lumière
Des écrivants leur ouvrage première

Et enfin j’ai récrit en partie
une reprise du concours de Blois
initié par Charles d’Orleans
duc et père d’un roi de France,
concours dit de la ballade des Contradictions
auquel participa entre autres pairs François Villon :

Je meurs de soif auprès de la fontaine
Froid comme feu je ris en pleurs
Rien ne m’est sûr que la chose incertaine
Et mes bouquets n'ont nulle fleur


Londres 17 et 18 janvier 2024
Martigues 11 juin 2024

La Sainte Victoire

1964

Léo Marchutz (1903-1976)

Tempera sur papier 72,5×116 cm

COMME LA RUE MON ROMAN EST À TOUT LE MONDE 32, 33, 34





trente-deux

LA RUE EST À TOUT LE MONDE, la poésie, « à la rue », n’est plus à personne. Ses voix se sont taries.

Mais (disons), on ne va pas en faire tout un poème. En effet, cette « voix sans personne », c’est une longue histoire. C’est Ulysse, dans l’Odyssée, c’est Pessoa (« personne » en portugais), navigant dans le desassossego, le livre de l’Intranquillité, et Jean Tardieu, le fleuve caché de tous mes poèmes.

« La rue est à tout le monde, reprenais-je, en donnant à ces mots un sens différent… »

Et puis comme ça fait du bien de passer ses belles nuits d’insomnie à lire et à recopier – comme si on en était l’inventeur – ses (ces) bagatelles proustiennes…Ces figures du sommeil où l’ « on imagine en dormant de se multiplier dans le passé »… C’est comme s’endormir « à la bonne étoile » et retrouver au matin, comme par miracle, et sans trop y croire « la durée infinie de ce qui est »*

*Isabelle Eberhardt





 trente-trois

UN COURRIEL À JO.L.

Ma chère Jo.L.,

Depuis que tu m’as laissé « à disposition » ton nouvel opus – ce livre de 427 pages – sur une table imaginaire d’un salon d’écrivain.e.s de plein air, il semble que malgré ma promesse de « m’y atteler » et d’en rendre compte, d’une manière ou d’une autre, il semble que je l’ai abandonné par d’infinies digressions qui semblent « noyer le poisson ». Mais, je te l’assure, rien de plus faux.

Pour preuve les pages 213 et 214 – oui le livre en sa moitié – que j’ai sous les yeux, et qui ont provoqué mon désir de cet email de rappel. C’est un passage, t’en souviens-tu, où tu donnes la parole à une petite fille qui porte, « un sac à dos violet sur lequel est écrit : Je pense donc je suis. »

J’espère, ma chère auteure, que toute équivoque est levée et que tu es rassurée.

Fidèlement

JJ D’OR

(Réponse désabusée ou ironique de Jo.L. « Tu parles Charles !)

la petite fille en question existe dans le roman de Lise Charles : « La Demoiselle à cœur ouvert »





trente-quatre

ENTRE MAFALDA ET MAROT

C’est vraiment un plaisir d’écrire en vis-à-vis d’un livre imaginaire que personne n’a jamais lu. Mais qui existe. Je lis la page 333, où la narratrice découvre à l’intérieur d’une bande dessinée (Mafalda de Quino « qui vient de nous quitter » ce 30 septembre 2020), la narratrice, donc, découvre le journal intime de sa fille qui vient d’entrer en 6°.

Ça me rappelle que pour chacune de mes filles (elles sont deux), j’avais, d’un commun accord familial, choisi d’être leur prof de français. (En 6°, et 5°, tant qu’à faire.) Maintenant qu’elles voguent entre trente et quarantaine, je songe qu’elles pourraient m’écrire enfin, puiser dans leurs mémoires involontaires, ce qu’elles ont vécu, retenu, pensé.

La narratrice de la page 333, elle, n’enseigne pas au collège, mais est maîtresse assistante, dans une université fantôme. C’est une spécialiste des épîtres, l’écriture épistolaire entre poètes du XVI°, qui en firent les premiers recueils imprimés de l’histoire de la poésie française.

Le titre de son étude, « qui vient de sortir », je vous le donne en mille :

La plume en l’absence.*

*Pauline Dorio (Droz) 2020


	

LE POÈTE DÉPOURVU





LE POÈTE DÉPOURVU





Pauvre poète

S’abreuvait de mots dorés

Pour dorer la pilule

À ses mécènes

Afin d’obtenir quelques subsides

D’eux





« Poète dépourvu »*

En rajoutait un peu

Avec l’humour rentré

D’un affamé

Qui « pauvre ment »





Mais poète aussi

sans le dire expressément

appliquait les canons épistolaires

mis à jour par Érasme





D’abord tu flattes

et persuades ton donateur

que c’est la personne idoine

qui correspond à ta requête





Ensuite tu formules

mezza voce

ta demande





Enfin tu remercies

ornant tes rimes

« par science et art gent »





Pauline Dorio reprenant

« les épîtres de requête

de Roger de Collerye

« poète dépourvu »

en fait la démonstration





un article paru dans un ouvrage collectif

franco-allemand ayant ce titre

qui est au cœur de notre présent :

Vulnerabilität/ La vulnérabilité)