IL EST DES SECRETS BIEN GARDÉS

une page de secrets d’écriture dorio 28/11/2022

IL Y A DES SECRETS BIEN GARDÉS, comme passer quatre années à écrire mille pages d’un roman, n’en rien dire à personne, puis arrêter. 1 Un bon exercice d’apprentissage, puisque quelques années plus tard, ayant compris pourquoi cette écriture « ne prenait pas » et, en quelque sorte, rectifiant le tir, le chef-d’œuvre, l’œuvre phare, viendra éclairer les « mille et une nuits » desa réalisation. 2 Paris à cette époque qu’on appela plus tard « La Belle », bruissait de cris de rues extraordinaires, soulignés par la trompette du rempailleur de chaises, la corne du raccommodeur de porcelaines, la flûte du chevrier. Ah ! le bigorneau, deux sous le bigorneau !  Les escargots ils sont frais ils sont beaux ! À la barque les huîtres, à la barque ! Il arrive le maquereau, il arrive ! Et, dans un autre registre, Couteaux, ciseaux, rasoirs ! Avez-vous des scies à repasser V’là le repasseur ! Tond les chiens, coupe les chats, les queues et les oreilles ! Vitri Vitrier Carreaux cassés ! Coco, coco, coco frais Qui veut du coco ? Au XVIII° siècle, les cris firent l’objet d’un jeu de l’Oie. Plus généralement l’iconographie qui les représente fait appel à des techniques variées : gravures sur bois, burin, eau-forte, gravures en couleur, lithographie, puis enfin à l’époque proustienne, que c’est beau la photographie ! 3 C’est comme la mélodie de soi portée par tous les autres dit un texte sur le jazz. Il y a des livres secrets trop bien gardés qui nous réjouissent quand on les découvre, qu’on les lit et qu’on les psalmodie, à la flamme d’une chandelle, avec la ferveur d’un bluesman ou d’une lady jazz scatant da-dé-da-di-da This particular type of vocalism is known as scat singing Scat da-dou-ron-ron Quand l’amour s’en va Adieu tout est fini Da-dou-ron-ron (bis) Ne pleurez pas Laissez tomber 5 Laissez les formules passer comme vos larmes et l’arme de vos rires Quand vous riez sincèrement rétrospectivement de vos maladresses, mauvais mots, fadaises et ridicules, coups d’épée dans l’eau. Dans ces moments-là, en y repensant, passent les fantômes d’un moi perdu, errant sur les mers d’une interminable traversée, sur ces chemins humides qui auraient pu l’engloutir bien des fois. Mais tant que l’on navigue le maître mot du pilotage, nous rappelle l’Odyssée, est ithunein, aller droit. Ô Muse Accompagne encore un peu le voyage de l’Anonyme Inventif, souffrant et agissant, rusant au mieux au milieu des périls, à la recherche de la dernière passe.

Marcel Proust 1 Jean Santeuil 2 À la recherche du Temps perdu Le Temps retrouvé 3 Les Frères Jacques 4 Éric Sarner 5 Johnny Hallyday

AVEC LE « JE » DE NARRATION

JE DE NARRATION (avec le) je me débrouille comme je peux Je amoureux et Je jaloux Je jouant avec la langue de Molière ou de Larue Je qui avec le temps se métamorphose en un être méconnaissable Je bavard et Je silencieux Je en fuite dans une phrase qui fait erreur sur la personne Je sous le charme des Jeunes Filles en Fleurs Je des Enfers et Je des Paradis vécus le long d’une vie de rencontres éblouies Je enfantin Je enfantant des géographies mentales qui dessinent en fin de parcours le portrait bluffant d’un Narrateur sortant du cadre des pages de son roman

LE TEMPS BIFURQUE

 Le temps bifurque perpétuellement vers d’innombrables futurs. Borges. Dans l’un de ces futurs passés, vous lisez ce fragment, le jour du solstice d’hiver (ce 21/12/2020), dans un autre vous faites une partie d’échec avec Ts’ui Pên, qui gouverneur du Yunnan renonça au pouvoir temporel pour écrire un roman en forme de labyrinthe, dans un troisième, d’un pinceau minutieux, vous écrivez sur un papier jadis cramoisi, maintenant rose et quadrillé,  comment être moderne en étant anachronique, catachronique, parachronique, achronique, etc…  Daniel Oster 1938-1999 Rangements 

  

hypnographies dorio 11 juin 2022
hypnographies en vis à vis Dorio 11/06/2022

COMME LA RUE MON ROMAN EST À TOUT LE MONDE 32, 33, 34





trente-deux

LA RUE EST À TOUT LE MONDE, la poésie, « à la rue », n’est plus à personne. Ses voix se sont taries.

Mais (disons), on ne va pas en faire tout un poème. En effet, cette « voix sans personne », c’est une longue histoire. C’est Ulysse, dans l’Odyssée, c’est Pessoa (« personne » en portugais), navigant dans le desassossego, le livre de l’Intranquillité, et Jean Tardieu, le fleuve caché de tous mes poèmes.

« La rue est à tout le monde, reprenais-je, en donnant à ces mots un sens différent… »

Et puis comme ça fait du bien de passer ses belles nuits d’insomnie à lire et à recopier – comme si on en était l’inventeur – ses (ces) bagatelles proustiennes…Ces figures du sommeil où l’ « on imagine en dormant de se multiplier dans le passé »… C’est comme s’endormir « à la bonne étoile » et retrouver au matin, comme par miracle, et sans trop y croire « la durée infinie de ce qui est »*

*Isabelle Eberhardt





 trente-trois

UN COURRIEL À JO.L.

Ma chère Jo.L.,

Depuis que tu m’as laissé « à disposition » ton nouvel opus – ce livre de 427 pages – sur une table imaginaire d’un salon d’écrivain.e.s de plein air, il semble que malgré ma promesse de « m’y atteler » et d’en rendre compte, d’une manière ou d’une autre, il semble que je l’ai abandonné par d’infinies digressions qui semblent « noyer le poisson ». Mais, je te l’assure, rien de plus faux.

Pour preuve les pages 213 et 214 – oui le livre en sa moitié – que j’ai sous les yeux, et qui ont provoqué mon désir de cet email de rappel. C’est un passage, t’en souviens-tu, où tu donnes la parole à une petite fille qui porte, « un sac à dos violet sur lequel est écrit : Je pense donc je suis. »

J’espère, ma chère auteure, que toute équivoque est levée et que tu es rassurée.

Fidèlement

JJ D’OR

(Réponse désabusée ou ironique de Jo.L. « Tu parles Charles !)

la petite fille en question existe dans le roman de Lise Charles : « La Demoiselle à cœur ouvert »





trente-quatre

ENTRE MAFALDA ET MAROT

C’est vraiment un plaisir d’écrire en vis-à-vis d’un livre imaginaire que personne n’a jamais lu. Mais qui existe. Je lis la page 333, où la narratrice découvre à l’intérieur d’une bande dessinée (Mafalda de Quino « qui vient de nous quitter » ce 30 septembre 2020), la narratrice, donc, découvre le journal intime de sa fille qui vient d’entrer en 6°.

Ça me rappelle que pour chacune de mes filles (elles sont deux), j’avais, d’un commun accord familial, choisi d’être leur prof de français. (En 6°, et 5°, tant qu’à faire.) Maintenant qu’elles voguent entre trente et quarantaine, je songe qu’elles pourraient m’écrire enfin, puiser dans leurs mémoires involontaires, ce qu’elles ont vécu, retenu, pensé.

La narratrice de la page 333, elle, n’enseigne pas au collège, mais est maîtresse assistante, dans une université fantôme. C’est une spécialiste des épîtres, l’écriture épistolaire entre poètes du XVI°, qui en firent les premiers recueils imprimés de l’histoire de la poésie française.

Le titre de son étude, « qui vient de sortir », je vous le donne en mille :

La plume en l’absence.*

*Pauline Dorio (Droz) 2020


	

UN ROMAN FEUILLETON à la noix de coco 29,30,31





vingt-neuf

DANS CE ROMAN À L’INVENTIVITÉ DÉBRIDÉE, les méprises, les ratages, les confusions faisaient florès : des « boniments à la noix de coco », (une incise « proustienne ») côtoyaient les paraboles sur la chute, provoquant le rire de Monsieur Bergson, une chanson de rien de rien, où l’on repart à zéro, l’inspiration buissonnière qui nous fait imaginer, en sortant de l’école, un chapitre nouveau aux Illuminations, le souvenir d’une procession de Semaine Sainte à Séville, où un mécréant jeta un petit chat sur le cortège (immédiatement et rudement arrêté par les tricornes de la Guardia Civil)… et le reste.

Dans ce roman à portée de main de toutes les insomnies, et dont les pages s’ouvrent toutes seules sur nos plus belles fantaisies.





trente

DANS LA NUIT JE PERDS LE FIL de mon roman feuilleton.

Suis-je victime des feuilles de poésie arrachées à l’automne ?  

Dans la nuit, innocent, qui roule son langage dans du papier tabac.

Je rallume cet arbre qui semble brûler éternellement et que l’on nomme le flamboyant.

Dans la nuit où un loup maintenant s’introduit, le loup Alexandrin en quête d’Alexandrine.

Mon feuilleton reprend, avec cet enjouement, des voix de marquises qui tenaient salon dans les livres.

Dans la nuit qui échappe à tous mes lecteurs. (une phrase inutile ?)





trente-et-un

POURQUOI CHERCHER MIDI À QUATORZE HEURES ?

Midi le juste y allume ses feux

Pourquoi chercher à voir les yeux fermés ?

Cansous vos poguetz ir por tot lo moun

(Chansons vous pouvez traduire le monde)

Pourquoi lire encor des vers inintelligibles

La lutte du déca et de l’alexandrin ?

Un courant d’air passe alors sur ma page

                Il touche à mes lignes

La mer est amère

Un cheval soudain s’y promène

Il hennit Nini

La perte du temps

Je me souviens que tu jouais Dolly

Cette pièce pour deux petites filles

Composée par celui qui par hasard

Naquit près de mon village natal

À l’accent rocailleux

                Un goût de cendres sur la langue

                                Je te dis Adieu





évocations Paul Valéry, un troubadour, Gabriel Fauré, Reverdy.