POUR VINGT LECTEURS

Est-ce que pour vingt lecteurs (lectrices comprises) j’écris en vain?
J’écris quand le temps semble s’arrêter pour voir ce qu’il en est ce qu’il peut en sortir :
la vérité au fond du puits du jardin familial quand j’étais enfant
le hasard aboli par un coup de dés magistral
les tourments d’un copiste qui refuse obstinément de faire une page supplémentaire
le silence catégorie d’une langue s’opposant au bruit du temps
la lecture de quelques passages de la bible d’un auteur hébraïsant le français
l’univers des quantas qui s’organise en se désintégrant
En bref tout ce qui dans mon inconscient a précédé cet écrit de fortune
J’aimerais bien que mes vingt lectrices (lecteurs compris) poursuivent cette liste mais je sais d’expérience que c’est trop leur demander
Qu’à cela ne tienne la plume en l’absence ça me connaît

COMME LA RUE MON ROMAN EST À TOUT LE MONDE 32, 33, 34





trente-deux

LA RUE EST À TOUT LE MONDE, la poésie, « à la rue », n’est plus à personne. Ses voix se sont taries.

Mais (disons), on ne va pas en faire tout un poème. En effet, cette « voix sans personne », c’est une longue histoire. C’est Ulysse, dans l’Odyssée, c’est Pessoa (« personne » en portugais), navigant dans le desassossego, le livre de l’Intranquillité, et Jean Tardieu, le fleuve caché de tous mes poèmes.

« La rue est à tout le monde, reprenais-je, en donnant à ces mots un sens différent… »

Et puis comme ça fait du bien de passer ses belles nuits d’insomnie à lire et à recopier – comme si on en était l’inventeur – ses (ces) bagatelles proustiennes…Ces figures du sommeil où l’ « on imagine en dormant de se multiplier dans le passé »… C’est comme s’endormir « à la bonne étoile » et retrouver au matin, comme par miracle, et sans trop y croire « la durée infinie de ce qui est »*

*Isabelle Eberhardt





 trente-trois

UN COURRIEL À JO.L.

Ma chère Jo.L.,

Depuis que tu m’as laissé « à disposition » ton nouvel opus – ce livre de 427 pages – sur une table imaginaire d’un salon d’écrivain.e.s de plein air, il semble que malgré ma promesse de « m’y atteler » et d’en rendre compte, d’une manière ou d’une autre, il semble que je l’ai abandonné par d’infinies digressions qui semblent « noyer le poisson ». Mais, je te l’assure, rien de plus faux.

Pour preuve les pages 213 et 214 – oui le livre en sa moitié – que j’ai sous les yeux, et qui ont provoqué mon désir de cet email de rappel. C’est un passage, t’en souviens-tu, où tu donnes la parole à une petite fille qui porte, « un sac à dos violet sur lequel est écrit : Je pense donc je suis. »

J’espère, ma chère auteure, que toute équivoque est levée et que tu es rassurée.

Fidèlement

JJ D’OR

(Réponse désabusée ou ironique de Jo.L. « Tu parles Charles !)

la petite fille en question existe dans le roman de Lise Charles : « La Demoiselle à cœur ouvert »





trente-quatre

ENTRE MAFALDA ET MAROT

C’est vraiment un plaisir d’écrire en vis-à-vis d’un livre imaginaire que personne n’a jamais lu. Mais qui existe. Je lis la page 333, où la narratrice découvre à l’intérieur d’une bande dessinée (Mafalda de Quino « qui vient de nous quitter » ce 30 septembre 2020), la narratrice, donc, découvre le journal intime de sa fille qui vient d’entrer en 6°.

Ça me rappelle que pour chacune de mes filles (elles sont deux), j’avais, d’un commun accord familial, choisi d’être leur prof de français. (En 6°, et 5°, tant qu’à faire.) Maintenant qu’elles voguent entre trente et quarantaine, je songe qu’elles pourraient m’écrire enfin, puiser dans leurs mémoires involontaires, ce qu’elles ont vécu, retenu, pensé.

La narratrice de la page 333, elle, n’enseigne pas au collège, mais est maîtresse assistante, dans une université fantôme. C’est une spécialiste des épîtres, l’écriture épistolaire entre poètes du XVI°, qui en firent les premiers recueils imprimés de l’histoire de la poésie française.

Le titre de son étude, « qui vient de sortir », je vous le donne en mille :

La plume en l’absence.*

*Pauline Dorio (Droz) 2020