LA POÉSIE N’A PAS DE PRIX





En ce monde étiré, parcouru en tous sens, volubile et affairiste,

la poésie survit, langue de sable, déploration surannée, etc.

Gaston Puel





I

La poésie n’a pas de prix

Elle se donne pour rien

hors des marchands

des cuistres et des théoriciens

qui se font mousser

avec les mots des insurgés

II

La poésie n’a pas de prix

C’est un peu d’air qui est passé

sur cette colline sur cette rue

ce ru de figures invisibles

qui bouillonnent

moitié  pierre moitié écume

III

La poésie n’a pas de prix

Trésor caché des nuits

Elle lève ses barricades mystérieuses

au carrefour des rêves

et des réalités

IV

La poésie n’a pas de prix

inadaptée à ses marchés

où ceux qui inscrivent « poète »

sur leur carte d’identité plastifiée

troquent l’or du temps

pour leur petite monnaie de signes

V

Innocente dérangeante pauvre et sans prix

Poésie n’est pas un nom facile à porter

Elle est pourtant – toujours – l’humaine mesure

Un cami compartit Un chemin partagé

Qui relie maille après maille ses lecteurs dispersés

Joie et douleur mêlées dans un simple poème

Qui ne fait que passer

POURQUOI J’ÉCRIS DES POÈMES

 

POURQUOI J’ÉCRIS DES POÈMES
 
Je ne me suis jamais posé la question.
Oui, mais voilà, c’est venu sous la plume.
Aussi, face à ce qui se dérobe,*
Je vais tâcher, poussant le paradoxe,
De ne pas (me) dérober.
 
J’écris des poèmes parce que
Ça m’amuse
Bien que le jeu me prenne tout entier
Et sérieusement
Durant son exécution
 
J’écris des poèmes parce que
C’est – ne riez pas – une vocation.
À mesure que la poésie disparaît de nos sociétés,
C’est, à rebours, porter haut son jeu incantatoire
Et son univers quotidien
Fragile et capricieux,
Qui importe.
 
J’écris des poèmes parce que
C’est toujours une promesse de découvrir
Une part cachée de soi
Qui sort d’une formule inattendue,
D'une étincelle qui couvait
Sous la cendre,
Le livre de sable**
D'un dictionnaire infini.
 
J’écris des poèmes parce que
Je m’abreuve et m’enivre
Des milliers de poèmes
Brinquebalant dans le grand véhicule
Où s’accouplent ballades et chansons au ton bref
 
J’écris des poèmes parce que
Je ne veux pas mourir***
Je souffle et souffre
La mort la vie
L’envers l’endroit
Qui se concilient ou se déchirent
En silence
 
J’écris des poèmes parce que
J’aime enjamber l’aurore
Après une nuit consacrée à l’invisible
Confondant le commencement et la fin
D’une voix qui se décline sans personne****
Et avec chacun
 
 
*Henri Michaux ** Borges ***
Anne Sylvestre : chanson : Écrire pour ne pas mourir
**** Jean Tardieu



nb : pour les enfants et pour les raffinés

ce poème dans cette version non définitive
a été écrit à la main sans ratures
commencé dans la nuit du 12 septembre
(au lit)
continué l'après-midi assis sur le mur grec de Saint Blaise
(commune de Saint Mitre les Remparts)
parachevé ( après de longues hésitations
marquées par des ajouts et suppressions )
sur le clavier de l'ordinateur
ce vendredi 13 septembre
à cinq heures du matin




 

 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 

PETITES OCCUPATIONS DU 3 SEPTEMBRE 2019

Écouter dans les bois de pins la musique des dernières cigales
Suivre amusé une hirondelle de mer 
faisant un vol évolutif
au-dessus de la plage de sable

Nager seul dans la mer froide
désertée de ses vacanciers

Et poursuivre son écriture incertaine
Dans le labyrinthe de la poésie universelle





	

ÉCRIRE EN POÉSIE

Mon « écrire en poésie », c’est bien mon« être ». Mais il y a encore autre chose : cet « être» se dit avec et par un travail d’écrire. Un poète utilise une langue qui est à tout le monde. On ne l’invente pas, j’en suis persuadée. Je suis intéressée, mais pas conquise par les essais de transformations ou de biffures généralisées qui se sont manifestés depuis les guerres mondiales. Mais cette langue, un poète ne l’emploie pas à des fins de communication utilitaire, ou en essayant d’être compris tout de suite par tout le monde. C’est pour cela que le lecteur ou l’auditeur de poésie a souvent besoin d’une certaine préparation, dont on commence heureusement à sentir la nécessité. L’expression poétique est toujours en évolution, ce qu’il faut, bien sûr, comprendre et admettre; en outre, elle parle de ce dont on se tait souvent dans la société, le pas vendable : angoisse, mort, bonheur de riens ou (et) bonheurs extrêmes, élans. Ce qui constitue le fond dérangeant de la vie, quoi !

Marie-Claire Bancquart

L’AMI MONTAIGNE

 





Dès ma première enfance la poésie a eu cela
de me transpercer et de me transporter
Michel de Montaigne
 
écrire un poème
sous mille formes données
au sujet informe
 
écrire un poème
se tenir dans son assiette
à travers le branle du monde
 
écrire un poème
un pas de côté
deux clics de souris
 
écrire un poème
en mouvement
en recopiant
l’ami Montaigne
 
J’aime l’allure poétique
à sauts et à gambades
 
*italiques sont de Montaigne