POÈMES RESTÉS AU SECRET

 

Sans doute la persévérance d’une voix est-elle l’unique vraie justification de la poésie.
[…]
Tout ce que la poésie peut faire, et seulement quand les étoiles sont bienveillantes,
c’est prêter des mots à nos questions, se faire l’écho de nos souffrances,
nous aider à nous souvenir des morts, mettre un nom sur les œuvres du mal,
nous apprendre à réfléchir aux actes de vengeance et de châtiment,
et aussi de bonté, même quand la beauté n’est plus là.
 
Alberto Manguel
 
 
les poèmes glissent dans le gouffre des nuits
les poèmes butent contre les portes des rêves inachevés
les poètes meurent dans un dernier mot resté au secret
 
les poèmes affrontent les fleuves intranquilles
les poèmes surgissent des voix chères qui se sont tues*
les poètes se tuent à dire l’indicible
 
*Verlaine
 
les poèmes travaillent le corps perdu des métaphores
les poèmes césurent riment et apocopent
les poètes balbutient un dernier vers d’azur
 
 
 
 
 

CHERCHANT LE POÈTE ET NE LE TROUVANT PAS

 

le temps te dévisage
tu soutiens un temps son regard
puis tu t’éloignes
comme absent de cette histoire
avec sa petite hache
 
cherchant le poète et ne le trouvant pas
il est allé cueillir des simples
mais la brume est épaisse
je ne peux vous dire où il se trouve au juste*
 
*Ji Dao (779-843) époque Tang
traduit par J.F. Billeter

POÈTE JE NE LE DIS JAMAIS

« Nous, les Suprêmes Poëtes, qui vénérons les Dieux et qui n’y croyons pas ».

Verlaine





Poète, je ne le dis jamais. Ne me demandez pas pourquoi.

Un poème, avec ou sans les dieux, « je l’écris, il s’écrit, il m’écrit »,

comme disait joliment Claude Simon de ses livres.

Je l’écris, à la main, à ma main, à mon rythme,

selon les régimes déployés par mon activité.

Il s’écrit, dans le calme ou la fureur, la clarté ou le mystère. etc.

Il m’écrit, me forme et me déforme,

ajoute quelques pièces au puzzle de mon identité.

Mais poète, je ne le dis jamais.





(texte en cours)

MORT D’UN POÈTE

RECONNAISSANCE

Et voilà cette brèche ouverte par un son, un rapport de mots, une liaison d’images, qui permet de voir là où on ne faisait que regarder. De respirer là où on ne faisait que discourir. Celui qui est capable de mettre en œuvre les lueurs qui peuvent naître de telles articulations ou de telles défaites dans les constellations de la parole, qui sait les forger, les provoquer, celui-là, comment ne le reconnaîtrions-nous pas ?

CE CHERCHEUR INASSOUVI

En l’écoutant, une fois peut-être, sans frontière, nous l’entendrons.

Ce chercheur inassouvi, cet éternel inadéquat, ce contempteur d’impossible est avant tout un ouvrier de la langue qui désespère et qui rit.

Allant aux fibres du tissage, aux sources de la chimie, il veut d’abord tendrement essuyer la buée, « buée des buées », regarder par cette trouée maladroite la lente migration du paysage.

LE TEXTE POÉTIQUE

Le texte poétique est le texte de la vie, travaillé par le rythme des éléments,        construit, érodé par tout ce qui est fragmentaire, plein de lacunes, laissant apparaître dans les failles des signes plus anciens. Trame d’ardeur et de circulation : chacun peut y lire autre chose et aussi la même chose.

3 citations de Lorand Gaspar

28 février 1925 naissance à Targu Mures en Transylvanie (Roumanie)

9 octobre 2019 mort à Paris

PUISQUE TOUT SE TRANSFORME





PUISQUE TOUT SE TRANSFORME

Frayer encor avec les Romains lettrés, écrivant poésies, – avant J.C – « Ainsi rien ne périt malgré les apparences Puisque tout se transforme Et que toute naissance en ce monde a besoin du secours de la mort »

« Petit moineau, délices de Lesbie », becquetant les doigts de la Belle.

Jouer encor de nos chants alternés, avec les Dieux enfuis, comme pour prolonger ces impossibles souhaits : « Essayons par magie de guérir, de séduire ».

Avant que ne nous happe, notre lyre brisée, la gueule de ce monstre, qu’un poète, déjà, nomma la bouche d’ombre.

avec Lucrèce, Catulle, Virgile, Properce.

manuscrit premier jet
fond : aplats d’acrylique, « hypnographies » encre de Chine
Dorio