21 EXERCICES D’UN RÊVEUR VIGILANT

JE T’RÊVE

Ah ! Si je connaissais un homme
Qui oublie le langage
Pour avoir à qui parler.
Tchouang Tseu

Je rêve que j'erre dans l'infini 
des rêves de mon être imaginant
Je rêve de la fin de partie de ma vie d'enseignant 
et de la folle école

Je rêve que l'on m'appelle par dérision
 Maître François Villon
L'an soixante-sixième de mon âge
Je rêve encor d'enfantillages


Je rêve du crayon et de la craie 
Je rêve du lézard et du chardonneret
Je rêve de la prise d'Ilion et du cheval de bois

JE T’RÊVE (21 exercices d’un rêveur vigilant)
Editions Rafael de Surtis décembre 2011

EXERCICES D’ÉCRITURE D’UN INSENSÉ

 Je ressors du grenier une centaines de fiches de toutes les couleurs (10×21 cm), sur lesquelles jai écrit des lignes et des lignes, chaque nuit, comme un insensé. Les mots accumulés (bien que souvent venus « au compte-goutte ») étaient comme de petits dieux de passage que je suivais  innocemment : un lézard amoureux par ci, les rêves dun papillon par là, et même un trou noir photographié pour la première fois au centre de la Galaxie M 87, tout ce qui passe au fil de la plume nous faisant oublier combien il y a loin de la coupe aux lèvres. Je ressors du grenier ces fiches regorgeant détranges étrangetés, exercices tracés à la pointe dun stylo simaginant calame. Le K, lâme de cette nouvelle de Buzzati que jai faite à chaque rentrée lire à mes élèves collégiens qui lauront pour la plupart, et pour leur plus grand bien (ou mal, lhésitation est permise), oubliée. Le K animal débonnaire et porteur de la pierre dimmortalité, était pris par lenfant héros comme un monstre quil ne fallait pas approcher. Croiser et recroiser, ces obscures clartés, collages intempestifs exposés au Moma (Mona Lisa des Champs : LHOOQ), « exercices dexorcismes » à la Michaux, où lon fait halte une heure, en balbutiant quelques mantras à son papier. Une heure, où lon est successivement fourmilier aperçu dans le llano vénézuélien, lézard amoureux de Char, papillon de Tchouang Tseu, arbre qui cache la forêt de symboles abolis.

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

TROIS NOUVEAUX TEXTES ÉCRITS COUCHÉ

LONGTEMPS JE ME SUIS COUCHÉ

Je me souviens qu’un jour j’écrivis Longtemps je me suis couché de bonne heure. Jamais je n’aurais imaginé que ça allait devenir l’incipit le plus célèbre de la littérature française. Je peux témoigner que j’ai cherché bien d’autre phrases premières, de celles qui accrochent ou non le lecteur. Et d’ailleurs, les manuscrits déposés à la BNF en attestent, je la trouvais si banale et proche du degré zéro de l’écriture, que je l’ai souvent barrée, biffée, exécrée. Mais bon, un jour pressé par l’éditeur, j’ai remis ainsi mon manuscrit. J’avais perdu assez de temps et j’avais hâte de confronter mes lecteurs à la présence d’un narrateur qui s’éveillant au milieu de la nuit, ignore où il se trouve et ne sait même plus au premier abord qui il est.

EXERCICES

Sans exercices il n’est nul art. Exercices quotidiens s’entend et de tout type et en tous lieux. Jeux d’enfants dans Broadway, entrées de clowns à l’asile, vouvoiement à quelqu’un que l’on tutoie (et vice versa), exercices d’attrapages de mouches sur les vaches sacrées, de tutage de grillon que l’on apporte dans le fournil du boulanger, et des grenouilles de l’étang que l’on leurre avec un chiffon cédé par Monnet, invention d’une langue commune aux Babéleux, etc

Sans exercices il n’est nul art mais l’art n’est pas exercice.

PAPIERS D’IDENTITÉ

Étrangeté jamais démentie, relire ses « papiers d’identité », ses multiples carnets d’instants rapportés plus d’un demi-siècle durant, de dessins à la plume ou au pinceau, de pincées de poèmes inachevés (ils le sont tous). Milliers de pages de tout format, de toute forme essayée. Blablas, babels, exercices sans style, mais au stylo sur ce papier qui parfois est devenu muet et d’autrefois continue étrangement « à nous parler ».

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EXERCICES D’OUBLIEUSE MÉMOIRE





UN DICTIONNAIRE À PART SOI

MONTRE

Depuis que je vis « en retrait », je n’ai plus de montre au poignet. Je la remets, uniquement, quand j’ai un rendez-vous médical. Allez savoir pourquoi ? Pour l’instant, touchons la caisse de ma guitare, je vis à septante-cinq ans, sans prendre un médicament. « Et j’espère devenir vieux ! », comme dit la chanson cajun. Mais c’est pas gagné.

OXYMORE

Un petit exercice pour faire travailler votre « oublieuse mémoire » :

l’oxymore le plus connu est « l’obscure clarté ».

Sans tricher, avec votre « gougueule d’atmosphère » :

1 pouvez-vous retrouver l’alexandrin entier de « l’obscure clarté »

2 son auteur 3 le titre de l’œuvre d’où la citation est tirée. ?

VÉRITÉ

Mes écrits ne contiennent aucune certitude qui me satisfasse à moi-même, aussi ne fais-je pas profession de savoir la vérité ni d’y atteindre…J’ouvre les choses plus que je ne les découvre.

Je signe des quatre mains cette ouverture de Pierre Bayle, né en 1647, dans un village de l’Ariège, proche du mien. Lui au Carla, moi à La Bastide de Besplas, en 1945. Je disparaîtrai, il restera.