LA FORME POÈME

« Le poème que nous donne la poésie n’a pas de forme ni de contenu, il est la forme et le contenu » Jean-Marie Corbusier (Le journal des poètes)

La forme poème 
Une page blanche
la dicte
au stylo noir

L’enfant que j’étais
les recopiait
sur un cahier de poésies
leur faisait
des dessins coloriés
et les apprenait
par cœur

Le temps a passé
toute une vie
bientôt

et je continue
après la page blanche
une autre page blanche

celle-là est jaune
d’ailleurs

comme les Amours
d’un certain Tristan

La forme poème
Un mélange de vide
et d’entêtement

Martigues 14 décembre 2023

QUELLE MAGNIFIQUE SOIRÉE

Il avait dit, je préfère ne pas, commençant ainsi sa résistance par anticipation.

Antonio Tabucchi (Tristano muore)

Il y a un an que je n’ai pas vu le monde, me balançant, depuis mon hamac. Pour la date, vous n’êtes pas obligé de me croire, mais pour la pièce tissée (et bariolée) que j’ai ramené du Venezuela (petite Venise), oui. Après l’avoir arrimé ici et là, le hamac (el chinchorro l’appellent les paysans du llano), a, depuis un bon lustre, trouvé sa place définitive, entre l’amandier (au sud) et l’abricotier (dans l’axe de l’étoile polaire).

Alors voilà, de mai 2021 à mai 2022, « il s’en est passé des choses », comme aurait pu dire la Françoise de la Recherche, mais l’essentiel, c’est qu’une année après, j’ai le plaisir de réamorcer cette « écriture de hamac » que je poursuis depuis de nombreuses années (cinq lustres, pour le coup, cette fois). C’est réglé comme du papier à musique, un livre m’accompagne et, moitié le lisant, moitié regardant ce qui m’entoure (les martinets, ce soir, le panache des avions qui tracent vers l’Afrique, les feuillages et troncs de mes arbres…) j’arrive aussi, à faire de brèves bouffées d’écriture sur les pages blanches ou dans les marges du livre qui m’accompagne. Pour ce recommencement il s’agit de Tristano muore (« Tristan meurt » a choisi comme titre le traducteur). Che magnifica serata sembra proprio preparata da una fata delicata (« quelle magnifique soirée qui semble avoir été préparée par une fée délicate ») : c’est le début du livre, mais ce n’est pas de son auteur,  il s’agit des paroles d’une chanson populaire des années d’avant-guerre, (celle de l’an quarante). Voilà, cette année tout (re)commence par une chanson.

une voix sans personne

LETTRE D’UNE ÉQUINOXE





Ma chère Jo

Je t’écris sans savoir où tu en es et ce que tu penses.
Je t’ai perdue, souviens-toi, il y a sept ans.
Je t’écris dans notre couche commune que j’ai désertée à de rares exceptions, essentiellement pour aller chez notre fille cadette à Paris puis à New York.
Je t’écris sans trop savoir moi aussi où j’en suis et ce que je pense.
Cependant, tu t’en doutes, je n’ai pas abandonné, j’ai continué mes instants créatifs à sauts et à gambades.
Tu sais pour l’avoir intimement observé combien j’aime laisser toujours une place pour l’inattendu, le coup de raccroc, dixit Tristan Corbière, la chaise en grain de paille de Vincent qui espérait y asseoir la Beauté…
Je t’écris, hasard objectif du calendrier, en cette nuit qui commence l’équinoxe d’automne 2021, ce 22 septembre où, chante Brassens, au diable vous partîtes…