L’INSTANT QUI DONNE PRISE

Après des jeux qui s’enchaînent et nous font échanger des paroles ailées Moi le grand-père enfant Lui le petit-fils qui fait ses gammes à l’école maternelle Le voilà muet plaçant les pièces d’un jeu de bois comme font les joueurs de go J’en profite pour lire un texte dont personne – à ma connaissance – ne parle plus Un instant précieux qui donne prise et désarme le sinistre ruissellement du temps*

* Michel Leiris (Le ruban au cou d’Olympia)

L’ENFANT POÈME

 Ça sort pas toujours d’un enfant
un poème
D’un bébé à la bouche d’escargot
un poème
D’un enfant de poche dans un livre
de poèmes
L’enfant du petit cheval
Qui fait tourner le manège
des poèmes
Dans la maison d’école
Où on récitait chaque matin
nos poèmes
Que l’on traçait avec nos bâtons
et nos craies
Un poème
Où l’on écrit toute sa vie son nom :
LIBERTÉ
 
 
manuscrit premier jet

JE ME PERDS DANS BORGES

JE ME PERDS DANS BORGES

La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s’y trouve.

Rûmi

*

Je me perds dans Borges

la nuit des dons – noche de los dones –

brise le miroir et le masque

el espejo y la máscara –

Je me perds dans les mille morceaux de cette œuvre dont chacun semble contredire le précédent et le suivant

Miroir brisé par le poing d’un dieu jaloux qui ne laisse aux lecteurs que les fragments d’une allure de vérité

Je me perds à l’angle de la rue Bernardo de Irigoyen et de la rue des Bergeronnettes de celles qui suivaient mon père laboureur

Je me perds dans les prologues qui mènent immanquablement au jardin des sentiers qui bifurquent et qui font pièce à des ouvrages hétérogènes d’écrivains improbables

Je me perds dans les visions simultanées de l’Univers que le langage ne peut traduire que successivement :

la neige coiffant la statue d’un soldat de 14 sur une place des Hautes Pyrénées

les grains de sable du Sahara coulant dans le cadre d’un artiste marocain vivant à Aix en Provence

la voie lactée où marchent sans cesse les indiens morts de la Goajira*

-Tu as bien vu tout en couleur ? demande Borges.

-Comme dans ce livre d’enfant où toutes les lettres pendant la nuit se mélangent et nous offrent au matin un chant nouveau.

*

*Le chemin des indiens morts Michel Perrin (1976)