DANS CE RECTANGLE DE PAPIER IMPRIMÉ





LA TRACE ET L’AURA





à Jacqueline Saint-Jean





Ne te soucie pas de ta trace

Tu es seul.e à ne pouvoir l’effacer





Quelques lettres bien placées

Mises en forme c’est le fonds

Qui manque le moins

Le corps souffrant ou joyeux

On fait avec ce passe-temps





J’en ferais bien autant

Murmure le lecteur

Abusé par ceux celles

Qui ont mis les barbelés

Entre les génies parfaits

Et l’homme du commun





J’en ferais bien autant

Mais j’ai perdu le goût

De répondre aux inventions

invitations

De m’y mettre pour de bon

moi aussi





Et pourtant dans ce rectangle

de texte imprimé

il n’y a rien d’intimidant





Si ce n’est sans souci d’épargne

Puiser étoiles et coquillages

Matière ardente

Transmise par la pression instantanée

D’un océan d’inexprimé





Quelques lettres bien placées

Et nos idées se meuvent

Quelque part dans l’inachevé









citations en italique par l’ordre d’apparition

Matière ardente Jacqueline Saint-Jean (recueil qui  vient d’être publié) 2019

Océan d’inexprimé Julien Gracq (préface à Poisson soluble d’André Breton) 1950

Quelque part dans l’inachevé  une expression de Rilke écrite « contre la musique » (1910)

Mais il fera amende honorable en 1914 (Retournement)

Quelque part dans l’inachevé formule reprise comme un credo joyeux par Vladimir Jankélévitch

(livre d’entretien avec Béatrice Berlowitz 1978)

UNE FORME A PASSÉ

 
pour les enfants et pour les raffinés
comme disait monsieur Max
 
Je ne dors pas dit l’insomniaque qui tourne en rond
Tiens j’ai écrit un alexandrin dit Machin
Il entend le vent de mer qui fait la farandole
 
Je ne dors pas je ne dors pas je ne dors pas
Faudrait mon cher faire survenir autre chose
Faire l’original Pousser la porte absente
 
Une ancienne figure me souffle un lettré
Un autre en rajoute : plagiat anticipé !
Je laisse là mes vers bien trop alambiqués
 
Colloque sentimental d’une forme passée
 
 
 
 
 

MONOLOGUANT JE DIALOGUE





Monologuant je dialogue

Dans le fournaise de l’esprit

-L’instant engendre-t-il la forme ?

-La forme nous fait-elle voir le temps ?





Je dialogue avec le Songe

-Que reste-t-il de nos amours ?

Il est resté comme un abîme

Entre ma vie et le bonheur*

*Nerval





Je dialogue avec mon double

Qui se fragmente chaque nuit

-Mais quel est ton mot de passe ?

-Recherche du « Comment vivre »





Je dialogue a volo avec le temps perdu

-Mais comment t’appelles-tu ?

-René.e Renaissance





Je dialogue avec ce chat mort et vivant

créé par ce physicien farceur

dont j’ai oublié le nom

-C’est ta contribution à la relativité généralisée

je suppose ?

-Oui c’est l’esprit même de mes poèmes

qu’on ne sait sur quel pied danser.





Je mets en dialogue le texte et le sous-texte

-Tu penses à quoi mon cœur ?

-À l’impensé ma belle !





Je dialogue avec mes toiles peintes d’acryliques

et d’encres projetées

-C’est un art expressionniste non ?

-Oui, mais ce n’est peut-être qu’une

impression soleil levant.





Je fais dialoguer la chouette de Minerve

et le hibou baudelairien

-Et ça donne quoi ?

-Des plumes éparpillées au matin

sur mon oreiller.





Je dialogue avec tous ces textes de papier

que je lis sans cesse

et relie au palimpseste

des pièces perdues ou inachevées