JE NE SUIS PERSONNE

Je ne suis personne absolument personne écrit l’étrange personne qui vivait à Lisboa et dont le nom portugais Pessoa signifiait (ça ne s’invente pas) Personne.

Un boa en effet dur à avaler pour une personne normale qui aspire à ne pas être rongé par le symptôme de l’Intranquillité.

Car il m’est difficile, en ce qui me concerne, de dire sans rire : Je suis sans identité.

(Affaire à suivre.)

ÉCRIRE : TENTATIVE D’ACCROÎTRE SON IDENTITÉ ?


On peut le dire ainsi,
Y compris s’il s’agit de choses écrites
à la manière de Francis Ponge :
on est alors l’espace d’un texte, cageot, verre d’eau,
crevette, voire, figue de paroles.


Écrire des notes de bas de pages
pour subsister ou donner le change
quand on doit maquiller son identité,
juif à Trieste ou dans le ghetto de Varsovie,
ni catholique ni protestant
dans la France des Guerres de Religion.

Écrire au facteur pour qu’il accélère sa tournée
quand seul, isolé,
on se nourrit des lettres du monde entier
qui parlent d'amour et de fraternité.


QUI SUIS-JE ? QUE SAIS-JE ?

LES ÉGOLOGUES ET LEURS ÉGOLOGIES n’ont chez moi pas bonne presse Aujourd’hui que ce fameux concept d’identité est employé à toutes les sauces, quand « rien n’exclut d’essayer de penser hors du moi ou sans le moi » 1 Être, par exemple, un pur colibri, l’oiseau-mouche suçant le miel du livre des Essais, et le lendemain bécasse, la belle mordorée que chasseurs sans vergogne tirent à la passée, ou bien cet autre oiseau du crépuscule qui fait prendre son vol à une philosophie « parcourue par une expérimentation déniant toute entreprise identitaire d’un Moi totalisant narratif » 2 Du moins, drôle d’oiseau ou de zèbre, on aura essayé, posant les deux questions ouvertes du qui suis-je ? et du que sais-je ? 3 , doutant, pendant tant de jours et de nuits, de nos réponses, mais non du désir, chemin faisant,  de les éclairer…

1 Claude Romano L’identité humaine en dialogue 2 Gilles Deleuze 3 Michel de Montaigne

illustration Maria Dolores Cano

http://reveusedemots.blogspot.com/

LE DICTIONNAIRE D’UNE VIE

Chacun porte en lui un dictionnaire, le dictionnaire d’une vie, attribuable de l’extérieur à plusieurs individus, mais que l’écriture personnelle rend étonnamment « singulière ». Devenu en lisant, « le lecteur de soi-même », puis, en écrivant, le témoin des conflits entre mémoire et oubli, petite histoire et Histoire « avec sa grande H », faire vraiment « un dictionnaire à part soi », permet, échappant à toutes les entreprises d’un moi identitaire (la plaie de nos démocraties), de réactiver les seules questions qui devraient compter dans nos sociétés sans boussoles : qui suis-je ? et que sais-je ? C’étaient les questions posées par l’auteur des Essais, qui consacra le meilleur de sa vie à chercher, non sans se contredire, des manières de vivre, nous affranchissant de toute contrainte provoquée par « l’ego » : un parler ouvert ouvre un autre parler, comme fait le vin et l’amour.

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

CINQ FRAGMENTS CUMULÉS

PAPIERS D’IDENTITÉ

Étrangeté jamais démentie, relire ses « papiers d’identité », ses multiples carnets d’instants rapportés plus d’un demi-siècle durant, de dessins à la plume ou au pinceau, de pincées de poèmes inachevés (ils le sont tous). Milliers de pages de tout format, de toute forme essayée. Blablas, babels, exercices sans style, mais au stylo sur ce papier qui parfois est devenu muet et d’autrefois continue étrangement « à nous parler ».

CITATEUR

Je suis un citateur né. Mais je ne découvre le mot qu’aujourd’hui 6 juillet 2022. Cependant je crois que je ne vais pas le réemployer. Jamais.

ACCUMULATION

J’accumule des phrases, des citations, des non-phrases, des fragments, des vers (à l’ancienne), des pensées sans formes, des formes de pensée, des étymologies : ainsi il y a du cumulus, de l’amoncellement, dans la mise en scène (accumulare) de mon accumulation. C’est Wikipédia qui le dit. Et Baudelaire dans l’Étranger, aussi.

PETITS RIENS

Petits riens. Faits par la main qui les écrivant passe ainsi un temps en marge du temps. Mais petits riens ne sont pas faits pour être lus par un.e autre. Ou bien c’est l’entourloupe, l’entourloupette.

DIRE L’INDICIBLE

Dire l’indicible ou rater sa cible, dire en silence le bruit de la plume, les équivalences et les amertumes, dire tout le reste est littérature.

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi