J’ÉCRIS SANS INSPIRATION

J’écris sans inspiration -c’est le secret- c’est en écrivant qu’elle vient me titiller ou non…inexplicablement

J’écris lancé dans une giclée de mots qui vont faire des petits ou -comme à l’instant- s’interrompt un long temps…comme si je ne savais qu’ajouter

J’écris faisant jouer les couples Nécessité/Hasard Langage/Tangage Je/Jeu

J’écris en relisant la page en train de se faire en balbutiant en m’amusant à inverser les mots et les lignes

J’écris sans le Souci la grande terreur étreignant Kafka à son bureau de fonctionnaire contraint à une lamentable paperasserie

J’écris toutes les nuits sans que personne à mes côtés ne me fasse remarquer : Tu as vu quelle heure il est !

l’inspiration

UNE FICTION brume insensée où l’on cherche son inspiration 35, 36, 37





trente-cinq

EN CE MOMENT J’ÉCRIS COMME JE RESPIRE. Et je respire selon l’attention que je porte à ma respiration. La plupart du temps, aucune.

Mais la nuit, en revanche, après avoir passé une heure à écrire comme je respire, toujours au lit et appuyé sur mon oreiller, quand j’arrête le flux, éteins la lampe de chevet, je m’aide pour tâcher de me rendormir, de l’attention que je porte alors à ma respiration (inspiration, expiration), faisant ainsi barrage aux pensées qui essaient de traverser mon esprit.

-Alors, avant de plonger dans ton sommeil qu’as-tu écrit cette nuit ?

J’ai écrit ce que personne ne lira jamais dans les écoles.

J’ai écrit, comme je les ai lus, plusieurs textes en un, ouverts à l’interprétation et aux malentendus.

J’ai puisé de mémoire dans mon rouleau de citations long comme les Champs Élysées un 14 juillet.

J’ai écrit comme je respire et sans masque à papier.





trente-six

JE ME RÉVEILLE, ce vendredi 2 octobre 2020, et je n’ose ouvrir mes volets, car j’entends le vent de la mer, prélude à une tempête.

Aussi, avant d’avaler mon petit déjeuner, j’avale les phrases d’un romancier catalan écrites en espagnol (castellano), extraites d’un roman dont le titre est puisé dans le début d’un vers de Raymond Queneau.

Non l’original « cette brume insensée », mais sa traduction.

Je lis, laissant aller, m’amusant des embrouillaminis dessinés par ce narrateur fictif, qui pour vivre, au sens littéral de gagner sa croûte, fait deux métiers à nul autre pareils.

1 Celui de « traducteur préalable », il prévoit les difficultés de traductions, qu’il envoie au traducteur vedette, dont le nom paraîtra sur la première page.

2 Celui de fournir des citations (son dada), toujours de manière subalterne, à un auteur « star » de la- littérature-qui- se-vend.

Bon, il est temps d’ouvrir mes volets parme, et d’éviter, le temps de refermer ma fenêtre, la bourrasque.





trente-sept

C’EST QUAND ON EST PERDU dans une forêt ou un texte touffu, que l’on fait appel à un souvenir heureux, une maxime, une citation, un instant précieux que l’on vécut comme une épiphanie.

Je sais bien que ce début fait un peu charabia mais je l’ai écrit. Et en l’écrivant, j’ai entendu « le mobile » qui m’annonçait un nouveau message :

Le romancier ne doit pas être un donneur de leçons, mais à partir de ce qu’il « détecte », poser

les bonnes questions. »

Je traduis de l’espagnol une phrase supposée dite par l’auteur « d’Orange Mécanique ».

-Gracias Enric, te contesto muy pronto. (Merci Henri, je te réponds bientôt)

Ça a été ma première idée d’un e-mail immédiat, mais réflexion faite, et compte tenu de la situation

brumeuse dans laquelle j’étais pris, j’ai ricoché vers mon vieux Queneau. (vieux comme un breuvage

qui s’améliore avec l’âge). Et, hasard des recherches, j’ai fait d’une pierre deux coups.

« Cette brume insensée où s’agitent des ombres, comment pourrais-je l’éclairer ? »

La phrase écrite par Raymond Queneau est mise en exergue par Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance 1975, et par Enrique Vila-Matas, qui, de plus, a fait des trois premiers mots, le titre de son roman « Esta bruma insensata » 2019.


	

VARIATIONS SANS THÈME





Mon poème s’est perdu

Qui le retrouvera ?

Poème d’un pendu

Jouant à la roulette

Avec Nerval, Villon.





Mon poème s’est pendu

Qui le ramènera

À la vie, à son souffle,

À son mode d’emploi ?





Je ne sais, ne sais pas.

Mais j’essaie, je persiste :

coups de dés, aléas,

ou jeu de l’harmonie,

Ars combinatoria.





Variations sans thème

Si ce n’est le très vieux

De l’inspiration.





(faites la diérèse s’il vous plaît)

L’INSPIRATION

 

ou comment et pourquoi toutes les erreurs sont permises
 
C’est le dictionnaire la lecture
et le passage quotidien par l’écriture
enfermé hors de soi*
 
C’est la recherche d’un sens multiple
là où s’ajoutent en regard du texte
apostilles allongeails et autres paperolles
 
C’est la lecture de pans entiers d’un même auteur
le pillant en ses secrets de la cave de son château de Montaigne
jusqu’aux poutres peintes de sa librairie
ornées du sang des muses
 
C’est ce premier jet lorsque paraît l’aube aux doigts roses
Ô Muse conte-moi l’aventure de l’Inventif**
 
Ce sont d’autres moments souffles halètements heures particulières
comme faisait Monnet laissant l’ouvrage travailler l’ouvrier
 
C’est la nuit où après un premier somme
on ne craint pas d’affronter l’obscurité de la lumière  
 
C’est l’exercice de la traduction du transfert de langue à langue
de l’hospitalité faite à la parole de l’étranger
 
C’est le vent sur les fruits et la faux dans le jardin
La marche dans les bois et la course sur les chemins de traverse
Où ne parlant à personne et ne pensant à rien
Toutes les erreurs sont permises
 

*Maurice Blanchot
**L’Odyssée traduction Philippe Jaccottet