JE ME SOUVIENS de Viracocha et des bœufs piqués par les taons





37 Je me souviens d’avoir dormi à la belle étoile des plateaux de Castille et dans la citadelle de Machu Picchu

38 Je me souviens des bécots pondus comme des œufs tout chauds (Paul Fort)

39 Je me souviens d’avoir passé la nuit dans une cahute entouré de crânes incas et d’avoir refusé d’ouvrir la porte à un ivrogne qui toquait et se lamentait psalmodiant par Viracocha par Viracocha





40 Je me souviens des diseuses de bonne aventure qui prévoyaient dans les lignes de la main ou le marc de café les pires malheurs

41 Je me souviens de la petite cuillère en bois dont le manche s’élevait de la hauteur d’un petit soulier trouvée par André Breton au marché aux puces

42 Je me souvins des puces véritables qui tâchaient les draps rugueux de mon enfance





43 Je me souviens des vers luisants, lucioles que l’on voyait les nuits d’été près du mur de cailloux de rivière de notre jardin

44 Je me souviens des taouas, les taons attirés par les bœufs que mon père joignait les après-midi de canicule

45 Je me souviens que ma mère leur faisait au crochet des pièces en coton que l’on mettait devant leurs yeux et leurs mours (museaux)

JE ME SOUVIENS de Sapho et de Brassaï





25 Je me souviens des grenouilles pêchées en solitaire dans les mares des collines surplombant mon village

26 Je me souviens du rideau de pluie et de ce diable de chanteur nougaresque qui fait des claquettes sur le trottoir à minuit

27Je me souviens de c’est chaud Sète et des anchois de Collioure passés à la moulinette





28 Je me souviens de Guy Forget et de Gabriel Fauré

29 Je me souviens qu’en avril les eaux sont mille et que l’asile est un exil

30 Je me souviens des images poétiques et de tes bras qui entouraient mes nuits





31 Je me souviens de la bleusaille, de plumer la volaille et de Brassaï

32 Je me souviens du verre d’absinthe, la seule sculpture ronde-bosse de Picasso 1914

33 Je me souviens d’avoir visité et revisité son musée Hôtel Salé, du premier au quatorze juillet 2017, pendant que tu passais tes oraux pour entrer à la rue d’Ulm





34 Je me souviens de ce carnet que j’ai rempli de signes en écoutant les moineaux du jardin du Luxembourg

35 Je me souviens qu’elle a passé la jeune fille (Nerval)

36 Je me souviens de Sapho cette femme à thé (ça faut l’écrire)


	

LA MÉMOIRE ET L’AMER OUBLI





…l’honnête témoignage de sa mémoire, un amoncellement de choses brisées, pacotilles miroitantes ou éteintes, désassemblées, et que nul ciment ou fil d’or ne relie.

Jean Vilar, Chronique romanesque.

Toujours la mémoire, telle une magicienne qui nous joue des tours, qui sort du chapeau ce que nous croyions avoir oublié. Bergson écrit que nous portons en nous toute la durée de notre temps personnel.

Comment, si l’on y songe, ne pas en être écrasé ?

Tu te souviens ? (conversations) Souviens-toi ! (comme un mot d’ordre). 

Je me souviens (comme une machine littéraire).

Toujours la mémoire, telle une magicienne qui jongle avec l’art d’oublier.

UN P’TIT COIN D’PARADIS





– Tu te souviens de je me souviens de Georges Perec ?

– Très bien, c’était en 1978. À l’automne j’ai rejoint ma belle aux Martigues,

dans notre nid douillet de Paradis Saint Roch.

– Ah bon tu as vécu au Paradis ?

Un ptit coin de parapluie

Contre un coin d’paradis

Ce refrain de Brassens m’a inspiré une chanson.

– Et on peut l’écouter ?

– Y a qu’à demander !

Dialogues intérieurs XXII

un ptit coin d’paradis paroles musique interprétation JJ Dorio
enregistrement 2016 studio Le Petit Mas Martigues

JE ME SOUVIENS DE MON ÉCOLE





Je me souviens des dictées et des coups de règle

sur la tête ou les doigts

Je me souviens de Chalureau

qui se mordait la paume des mains

pour ne pas prendre le fou rire

Je me souviens de la règle de trois

Je me souviens du dessous obscur de l’escalier :

il servait de réserve de bois pour l’instituteur

et de cachot pour écolier récalcitrant

Je me souviens du jeu de barre dans la cour

où nous criions comme des perdus

Je me souviens des tabliers noirs

Je me souviens des pupitres

avec leur trou pour l’encrier

Je me souviens des plumes gauloises

et de la sergent major

Je me souviens de madame Sert

et de messieurs Géraud et Dinat

Je me souviens que l’on soulevait le béret à leur passage

Je me souviens de mes copains Riri et Jojo

Je me souviens de Bernadette et de Marité

Je me souviens des leçons de choses

sur l’escargot ou l’araignée

Je me souviens du poêle et de la bûche

que l’on apportait les matins d’hiver

J’entends encore la voix du maître qui nous intimidait :

Et je ne veux pas entendre une mouche voler ! 

Je me souviens des fables de La Fontaine

et du poème quotidien

que l’on récitait debout en nous balançant

Je me souviens de mon école