CENTON & MISCELLANÉES

CENTON & MISCELLANÉES
EN COURS D’ÉCRITURE

Ce samedi 18 novembre 2023, j’ai commencé l’écriture d’un texte fait de plusieurs pièces décousues. J’espère que ses lectrices et lecteurs prolongeront à leur manière ce centon. Chacun et chacune ajoutant sa citation, contribuant à ce texte collectif qui prime sur l’individuel.

1
Les nuits sont longues aujourd’hui
Pourtant demain est déjà là
C’était quand hier ?

2

Hier encore
J’avais vingt ans
Je caressais le temps
Et joué de la vie
Comme on joue de l’amour
Et je vivais la nuit
Sans compter sur mes jours
Qui fuyaient dans le temps

3

Les poètes ont été le bon temps de ma vie

4
La vie comme dit l’autre a repris tous ses droits
Elles ne font plus beaucoup d’ombre nos deux croix
Et petit à petit nous voilà devenus
L’Arc de Triomphe en moins des soldats inconnus

5
Me moriré en París con aguacero
Un día del cual tengo ya el recuerdo
Je mourrai à Paris un jour d’averse
Un jour dont déjà je me souviens



1 André Vers (7 janvier 1924-19 juin 2002) C’était quand hier (1990)
2 Charles Aznavour (22 mai 1924-10 octobre 2018) Hier encore
3 Gaston Bachelard (27 juin 1884-16 octobre 1962) Paroles rapportées
4 Georges Brassens (22 octobre 1921-31 octobre 1981) Les deux oncles
5 Cesar Vallejo (16 mars 1892-15 avril 1938) Piedra negra sobre una piedra blanca

6

Je me souviens de Georges Perec
Que j’ai longtemps écrit Pérec

7

Dans les jardins du Palais-Royal les feuilles mortes
ocre ocre-rouille rousses déjà noires parfois se collaient à mes semelles
faisaient « sou-ich » « soui-ch » « souissh » à chaque pas.

8

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l’oubli

9

D’un jour à l’autre
Hélas je demeure
Nous reculons
Mon cœur persiste
Pour fuir le temps

10

Je n’arrive pas à très bien déchiffrer 
les craquelures de l’écorce du noyer
Elles semblent l’œuvre de plusieurs écrivains 
Qui se contredisent et se complètent
Leurs phrases sur l’écorce se chevauchent 
Comme un palimpseste


6 Jean Jacques Dorio (24 mars 1945-…) 
7 Jacques Roubaud (5 décembre 1932-…)
 8 Jacques Prévert (4 février 1900- 11 avril 1977) 
9 Michel Chalandon (1° novembre 1955-…) 
10 Claude Roy (28 août 1915-13 décembre 1997) À la lisière du temps 

11

CET HOMME-LÀ

AQUÉL

Avec cet homme-là que jai repris comme livre de chevet je veux dire ses « œuvres » (un mot dont lui qui entra de son vivant dans la Pléiade, se défiait) il nest pas simple de faire, (en le lisant), des reprises de feu (en écrivant), tant il perd son lecteur dans des vers « voués à linutile », avec sa manie dagencer ( fût-ce en hendécasyllabes, son vers fétiche), « oubli des dates et des noms », « souvenirs en lambeaux », et ses postures d « homme de verre », (selon un de ses traducteurs) : celui qui fatigue ses miroirs dimages sur images, et à lopposé, dhomme de carne y hueso (en chair et en os) selon lexpression du philosophe du « sentiment tragique de la vie », son aîné de la génération précédente (25 années les séparaient).

Mais, en même temps, pourvu que lon oublie qui on est et le nom de qui on lit, cet homme-là, est une ressource infinie, pour ceux qui sadonnent au goût baroque des « simples miscellanées » (qui en savent plus long que quiconque), analectes et mélanges, citations inventées ou dûment répertoriées, diversions jouissives dans des Encyclopédies que personne plus ne lit.

Cet homme-là ? Peut-être moi, sûrement toi, si tu tes reconnu.e dans ce texte inexistant mais qui te résiste, qui te donne envie de le retisser, de recoudre ses souvenirs en lambeaux, de retrouver dates et noms, et surtout de dire adieu au genre « exclusivement masculin », dont abusa, sans paraître sen rendre compte, cet écrivain à qui « les dieux donnèrent un corpsqui neut pas de fils ».1

  1. Oh días consagrados al inútil empeño de olvidar la biografía de un poeta menor del hemisferio austral, a quien los hados o los astros dieron un cuerpo que no déjà un hijo

Ô tous ces jours voués à linutile effort doublier la biographie dun poète mineur de lhémisphère austral, à qui le destin ou les astres donnèrent un corps qui n’eut pas de fils

 (ma traduction.) J’ai transformé « la manie des hendécasyllabes » de ce poète majeur (qui confondait à dessein  « majeur » et « mineur ») , en prose poétique, disposée, comme il se doit, horizontalement.

Borges (Aquél) un poème du recueil La Cifra (Le chiffre) publié en 1981 La traduction du titre transformant « Celui-là » en « Cet homme-là » est dûe à Claude Esteban (1935-2006)

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

UNE PROSE SUR LE DÉPART





Pas un jour sans poème que je poste la nuit

Mais cette fois c’est une prose sur le départ.





C’est une prose sur le départ et son enfant hésite,

il voudrait bien la remplacer par un saxophone

ou par un coup de théâtre, comme au cinéma.





C’est une prose sur les marges d’un exemplaire abandonné

aux flots des Voix-Autres, à contre-courant des livres primés.





C’est une prose de l’U topie, de l’A topos, du papillon

qui rêve sur les fleurs de l’amandier, de la Voie

qui ne doit pas se dire sous peine de disparition.





C’est une prose de chenapan, de mots taillés dans les haillons

d’argent et sotz folha d’albespi :« sous le feuillage de l’aubépine. »





C’est une prose à petits pas, à petits feux, d’un amoureux

sur le papier et dans la voix de l’aurore.





C’est une prose de lèvres rouges et du sang des innocents,

d’une femme brûlée par les rayons d’la mort.





C’est une prose inachevée qui passe et qui prend feu

après beaucoup d’années de miscellanées…





prosa sotz folha d’albespi