AUTOPORTRAIT du mercredi 18 août 2010

Qui es-tu JJ Dorio ?

Je suis une présence

Je suis un sommeil de plume

Je suis un presque rien un petit chose 

un goût de cendres et de miel noir

Je suis une notion un rêve d’indien Goajiro

Je suis un chemin de passage et de doutes

une route de promesses

un dictionnaire du premier mot

D’où viens-tu JJ Dorio ?

Je viens de la terre glaise

du labour du ahan et des bœufs joints

Je viens des rimes équivoquées

et des boustrophédons

Je viens des borborygmes 

de l’encre et du papier de la mairie

de La Bastide de Besplas

en Ariège

Je viens de l’an 14 et du trépas de mon grand-père Bernard-Jean Dorio

Où es-tu JJ Dorio ?

Je suis ici ma main gauche tenant une feuille intitulée Autoportrait du 6 mars 1998

ma main droite faisant cette variation sur le clavier noir

Je suis ailleurs dans le bazar et le hasard

de ma roue de fortune

Je suis l’un des doigts qui traça les taureaux de la grotte de Niaux

Je nage dans le gouffre des signes multipliés

revigorés par le glyphe solaire et la spirale des mythes cosmogoniques

Je suis dans l’étoile blanche qui se lève au crépuscule de la vie

Je suis et je ne suis pas dans cette liste qui s’écrit

sans moi

Où vas-tu JJ Dorio ?

Je vais vers la fin annoncée de cet autoportrait

Je vais vers les mots les plus humbles des enfants et des lettrés

l’hirondelle et le martinet le flux et le reflux l’eau et l’air

Je vais vers le rire qui emporte le fol dans l’éclair du sacré

Je vais vers le pays où le « je » disparaît

Que fais-tu JJ Dorio ?

Je me tais

nb : Le modèle des questions et l’élan de l’écriture m’ont été donnés par Michel Butor 

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

J’ÉCRIS POUR VOIR LES YEUX FERMÉS

Jécris pour toi pour voir ce que tu vois les yeux fermés pour toi qui désormais ny voit plus que du bleu

Jécris pour nos aïeux, les tiens, forgerons et soudeurs du chantier naval, les miens, maniant laraire puis la charrue brabant

Jécris pour nos filles, enseignantes émérites et pour nos deux petits-enfants, une fille, un garçon, quhélas -cent fois hélas- tu nas pas eu lheur de voir naître

Jécris pour la maison adossée à la colline ici notre fière bastide qui regarde la passe maritime là-bas où tu naquis et la maison de Maxime la bleue elle aussi que tant de fois nous chantâmes ravis

Jécris pour la nuit la plus fidèle des compagnes qui me donne les braises de mots qui colorent mes pages et me tiennent éveillé

Jécris non pour « être ou ne pas être »,, mais pour « traversant les voies périlleuses » 1 peindre, comme Montaigne, le passage

1 Jean Bouchet (1476-1557)

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

J’ÉCRIS POUR LEVER DES LIÈVRES

En définitive à quoi écrire sert-il sinon à vivre ?
 Toutes les pénibles élucubrations sur « écrire et vivre » - écrire comme renoncement à la vie – sur « la chambre aux murs de liège » - avec attendrissement. « Il n’a pas vécu le pauvre » – ne sont que pitoyables défenses d’envieux, de toute façon sans importance. 
Mais ici, la chose est dite.

Jacqueline Bisset


J’écris pour lever des lièvres
lever le pied
lever au cœur les expressions

J’écris dans la discrétion
le silence et l’effacement

J’écris dans l’exubérance
la profusion et l’effervescence

J’écris résistant au vertige de l’écriture
mais non à sa folie passagère

J’écris le passage
en attaché
en cursive

J’écris en courant sur la page
dans la rumeur des vagues

J’écris dans le mutisme des nuits
la lumière des poètes de l’exil

J’écris en lisant
flux et reflux qui soulèvent mes livres
de sable et d’écume

J’écris à califourchon
à dada
sur la bicyclette grammée garnie de grelot 1

J’écris comme un cochon
un apache ou un apparatchik
(au choix)

J’écris en voyant de ma fenêtre une portion de méditerranée

J’écris je n’oublie pas
entre Charybde et Scylla
cette intensité de l’instant
où ça passe ou ça casse
(dit trivialement)

J’écris 
puis je laisse reposer
dans des carnets signés de noms
qui n’apparaissent sur aucune carte d’identité

1 George Grosz (1893-1959)

LA PAGE NE DOIT PAS ÊTRE DÉÇUE

passage éclair
hypnographies dorio 27/11/2016




LA PAGE NE DOIT PAS ÊTRE DÉÇUE DE TON PASSAGE ÉCLAIR

La nuit dormait je la réveille
D’un poème écrit il y a cinq ans

Cinq ans : un lustre
Non le luminaire suspendu au plafond
(Tire lui la queue
Il pondra des œufs)
Mais la période de cinq ans
Oubliée par la plupart des causeurs de langue française
depuis belle lurette

La nuit dormait je la remets
Sans trop insister sur les rails
D’un cahier d’écolier « Haute Ligne »

Cette page attendait se croyant abandonnée
J’espère qu’en la couvrant de mes signes
Je ne l’ai pas déçue



DES ESSAIS





Des Essais

Montaigne en fit des tonnes

Je n’ai pas asteure

Ses livres sous les yeux

Mais je me souviens

De quelques passes mémorables

Il appelait ça peindre le passage

Celui du temps

dont il goûtait

chaque seconde

quand tout bien

se goupillait

Mais quand il avait le bourdon

Il le traversait

à sauts et à gambades





Cette nuit

Moi aussi

C’est la cloche des morts

Qui m’a réveillé

Alors je prose

Cheval blessé

Qui rue

Et trempe généreusement

les doigts dans l’encrier





Comme vous pouvez le constater