LE POÈME GRATUIT





le poème gratuit

ça n’existe pas

on le paye de sa vie

sur le boulevard des rimes





 

il faut payer son dû

de mots et de décimes

à l’entrée du dictionnaire

qui fait l’article





poème silencieux

ou déclamatoire

sonnant et trébuchant

« sur quelque méprise »





je vous le donne

et vous laisse

comme une mise en abyme

la primeur de la suite


	

LA PORTE DE MA MAISON D’ENFANCE

hypnographies dorio 03/08/2016




Cette rue qui longeait la rivière

Je ne l’emprunterai plus

Et la porte de ma maison d’enfance

Que nécessité me força à mettre en vente

N’est plus qu’un panneau de bois dur

Fermé pour moi à jamais





Mais je laisse là les souvenirs sans suite

J’ouvre la fenêtre

et laisse entrer quelques instants

la fraîcheur sur la passe maritime

d’une première nuit de septembre





Un poème nouveau m’attend

dans sa discontinuité essentielle

et son essai de recomposition





L’éclair d’un geste

Qui ouvre sans le vouloir

La porte de ce poème

Comme un éventail





T’IMAGINES C’EST PAS RIEN C’EST QUOI ALORS?

une fantaisie du soir




T’imagines c’est pas rien c’est quoi alors ? c’est trop long à t’expliquer

T’imagines c’est de l’occitan al lum rossèl d’una candèla censada eccartar la tronanda*

*à la lumière rousse d’une chandelle censée éloignée la foudre

T’imagines c’est chacun de tes doigts sauf l’index mis en quarantaine dans les caves du Vatican

T’imagines c’est un poème qui a fait une dépression nerveuse* il n’y a qu’un pessoïen pour trouver ça

*o meu poema teve un esgotamento nervoso

T’imagines sur une malle du grenier un chat-huant fumant la pipe de Magritte

T’imagines c’est l’horloge qui tourne dans la tête tranchée par la grande aiguille

T’imagines une voix d’outre-tombe qui déchire le papier

T’imagines tantôt la vie tantôt la mort et au milieu coule un fleuve noir

T’imagines des lettres minuscules qui magnétisent ton bas de casse

T’imagines c’est pas rien c’est quoi alors ?

T’as plus qu’à tout relire !

L’HORLOGE DE SABLE

le feu secret qui me rongea

Faire un poème est une fête où le rituel « organise tout le possible du langage ». Ce peut-être bref, un feu d’étincelles, ou très long, interminable. On essaie, des heures entières, d’arbitrer, en vain, les conflits permanents entre « l’oreille », le son, et « l’esprit »,  le sens.

La fête finie, que reste-il, si ce n’est ce peu de grains, sur le papier ou dans le sablier d’un recueil, que l’on dit de « poésie ».

« Et nous les os devenons sable et poudre », écrivit Villon, en forme de ballade, pour ses « frères humains », s’attendant comme lui à être pendus.

Il est un autre poète, que tout le monde a oublié, qui, filant la métaphore, se vit, lui aussi, « se la couler douce » après sa mort, dans « l’horloge de sable » :

« Le feu secret qui me rongea

En cette poudre me changea

Qui jamais ne repose. »





Charle de Vion, seigneur de Dalibray.

1590-1652

ÊTRE ÉTONNÉ

hypnographies 7×7

Être étonné. Une rareté. Une poursuite de lézards sur le mur du jardin. Un poème court lu dix fois et dix fois fermé. Et la onzième il s’ouvre sur un mot qui l’éclaire. La fourmi minuscule qui se promène sur mes deux pages ouvertes dont le titre est Égarements.

Être étonné. De cette langue insensée, puisée on ne sait où, et que l’on lance dans un cri ou le silence de la page. Échos, présents d’un siècle depuis longtemps passé.

Être étonné. Mon hamac qui se gonfle sous le mistral. La pointe très haute d’un if ou d’un cyprès. Et puis ces mots qui soudain me traversent, ceux d’un mystique carne y hueso.*

*en chair et en os