ET LA FÊTE CONTINUE !





Ceux qui pieusement…

Ceux qui copieusement…

Ceux qui croient…

Ceux qui croient croire…

Ceux qui ont des plumes…

Ceux qui flottent et ne sombrent pas…

Jacques Prévert





Le beau temps est revenu

Mais tous les gens se terrent

Rue d’Rivoli Boulevard Haussmann

Il n’y a personne courant les rues





À la campagne c’est bien pis

Les blancs moutons

Bergers bergères

N’ont plus droit

À la prairie

Adieux gambades

Le cœur en fête

Tous aux abris !





Y a quelque chose de pourri

La maladie occupe l’espace

On compte les morts du Corona

C’est le virus qui provoque tout ça

Le méchant le salaud

Qui passe de peau à peau





Mais on l’aura c’est promis
Si chacun reste chez soi
Confiné mais pas con fini
Pourvu que dans son jardin
Des lettres et des mots
Il échange vers à vers
Les poèmes joyeux
De Queneau ou d’Prévert








le titre a été piqué à Prévert
mais tout lecteur qui sait
faire la fête aux mots 
les plus simples
s'en était douté

LIRE EN LEVANT LES YEUX





Grâce à mon livre

à la mi-temps de la nuit

j’entre dans « un havre de grâce » :

-un titre à double entrée

de Raymond Queneau-





Et Montaigne

en ses Essais

qui sont ma petite bible portative

fait de « grâces »

qui coulent sous la naïveté

et la simplicité

« une beauté délicate et bien cachée »





Les lecteurs grincheux

qui ne jurent que par « déconstruction »

et négativité »

me prendront pour un Candide attardé





Mais je leur ris au nez

Un balai un balai chassant leurs poussières





Et merci à Voltaire

Raymond la Science

&

Michel de Montaigne

TU TE SOUVIENS





Il n'est pas besoin pour partir à la découverte de choisir à grand renfort de règles, même édictées par le goût, un fait classé comme sublime. On peut partir d'un fait quotidien : un mouchoir qui tombe peut être pour le poète le levier avec lequel il soulèvera tout un univers.
Raymond Queneau




Tu te souviens de l'autobus vert avec un toit blanc
Mais était-ce un R ou un S ?
Tu te souviens de sa plate-forme arrière
Où tu montas "un livre ancien sous le bras"
Tu te souviens qu'un type vint après toi
en épluchant des cacahouètes
Tu te souviens qu'il avait tout d'un freluquet au long cou
Comme le héron de La Fontaine
Tu te souviens que le bus S passa devant le cinéma Mac Mahon
qui programmait la soupe au canard
Tu te souviens de la séquence où Groucho Marx
cigare au bec
tire le rideau d'une fenêtre
pour empêcher un boulet de canon
de traverser la pièce
Tu te souviens du contrôleur criant
Gare Saint Lazare
Terminus
des Exercices de style
Tu te souviens qu'alors tu t'dis
À tout hasard
Je vais coucher tout ça
Par écrit
la main sur la charrue
du vocabulaire
comme faisait 
Raymond Queneau





	

À LA SEPTENTAINE





À la septentaine

Comme disait l’autre

On a vu de l’eau

Passer sous les ponts





Les petits bateaux

Des camps et des sectes

Qui bouvardisaient

Et se pécuchaient





On a vu des –ismes

À n’en plus finir

Des définitions

De philosophistes





Pour clore le chapitre

Je finis parbleu

Par le fameux mot

De cinq lettres plus une









source :

« La mode étant ce qu’elle est,

arrivé à la septentaine,

on en a vu des ismes

passer sous les ponts. »

Queneau

TOUT POÈME FINI EST UNE VIS SANS FIN





Le roi Raymond Queneau écrivit dix sonnets

Dont chaque alexandrin fut par lui séparé

Sur quatorze languettes de papier découpé

10 puissance 14 vous zavez ka compter*





Moi je les ai classés dans ma verte chemise

Je les apprends par cœur chantant leur Oulipo

Poètes en ce moment pataugent dans la crise

Ils grelottent les pauvres sans les os ni la peau





C’est ainsi tu le sais que le temps des cerises

En semaine sanglante termina au tombeau

L’Histoire et sa grande H à tous nous traumatise

Mais je persiste et signe cherchant les chocs verbaux





Sur le papier mes vers font une belle trotte

Me donne mon cheval les gambades et la crotte

La poésie quand même c’est fait pour les lutins

Leurs baraques à tous vents leurs coquilles baroques





Frères humains et sœurs il faut bien qu’on débloque

Tout poème fini est une vis sans fin









*Cent mille milliards de poèmes

Raymond Queneau