lettre de Raymond Queneau à Jean Jacques Dorio original
LOIN DE RUEIL ce 24 mars 1945 PRÈS DES MARTIGUES24 mars 2020
Mon cher Dorio,
Tu viens de naître, je le sais, mais je me suis débrouillé avec le dieu du Temps pour que cette lettre ne t’apparaisse que le jour de tes septante et cinq ans. À l’avance j’en trépigne de joie. Et question java, jour de fête, poésie pas fière pour un sou, j’ai pas d’souci. On t’a fait à la bonne graine, à cinq heures du matin, (c’est marqué sur le livret) d’un printemps retrouvé après cinq ans d’obscurité.
Et pour le reste en ce jour où l’on éprouve ses artères, styles, exercices et tout le bataclan, je me suis fendu de ces quelques vers dont tu feras, à ta guise, complainte, ballade ou chanson grise.
Mais on l’aura c’est promisSi chacun reste chez soiConfiné mais pas con finiPourvu que dans son jardinDes lettres et des motsIl échange vers à versLes poèmes joyeuxDe Queneau ou d’Prévert
le titre a été piqué à Prévertmais tout lecteur qui saitfaire la fête aux mots
les plus simples
s'en était douté
lire des yeux puis de la voixces textes écrits en trisyllabes
le lecteur idéal laisse le texte captertout son présent
n’oubliez pas les diérèses.
Janvier
il ne sert à rien d’expliquer Dorio dans le texte Dorio a’xist’pas mais il trace des sillons en passant une araire pointe fine va et vient de paroles sans romances il ne sert à rien sur la page des fragments qui se perdent roue errante d’une main du tressage sans dressage la sibylle peut bien rire les idylles et rondeaux s’en aller je persiste et je signe
Février
février découpé en vingt neuf vers sans rimes à jets d’encre sur la page puis clavier pour l’écran février cette année apporta corona un virus une grippe pas d’Espagne mais de Chine tchin tchin tchin qu’opposer à la mort si ce n’est la richesse d’exister avec et pour nos semblables solitaires solidaires des raisons et des rimes chuchotées