ON OUVRE UN PETIT LIVRE

manuscrit premier jet en passant à l’écriture clavier (ci-dessous) le texte a été dégraissé

« ON OUVRE UN PETIT LIVRE ON TOMBE SUR QUELQUES FRAGMENTS, tout à coup on s’aperçoit que ces fragments, on aurait pu les écrire, on se retrouve en eux et, à chaque relecture, on éprouve le même bouleversement, la même surprise inépuisable » 1  Chaque nuit entre deux sommes, on vogue toujours et encor, vers l’île d’un poème incertain, tournant et retournant nos feuilles d’encres pourpres dans la colère ou les ivresses pénitentes 2  On ouvre un opuscule au hasard, on tombe sur un empereur de l’ancienne Chine qui a tout abandonné, l’ivresse du pouvoir et ses palais, pour, dans le secret, écrire un livre et construire un labyrinthe, sans penser qu’un livre en construction doit avoir les mêmes lois que celles du labyrinthe, il faut prévoir les moyens d’en sortir, sinon c’est le chaos. Le cas est présenté dans la nouvelle intitulée Le jardin aux sentiers qui bifurquent : Le jardin aux sentiers qui bifurquent est une énorme devinette ou parabole dont le thème est le temps, cette cause cachée qui interdit la mention de son nom. Omettre toujours un mot, avoir recours à des métaphores inadéquates et à des périphrases évidentes, est peut-être la façon la plus démonstrative de l’indiquer. » 3 Ainsi ce fragment 624 que l’on vient d’écrire comme une suite ou un pied de nez au défi borgésien (le lecteur jugera) : Tu n’as ni royaume ni cheval Mais ce minuscule oiseau au bec de plume qui vient la nuit te visiter et te permet sur le papier de murmurer tes petits secrets. Ou bien, cette autre amorce d’un texte qui fut publié par un éditeur de la rue Racine à deux pas du théâtre de l’Odéon : Tu as perdu le compte des jours mais pas des nuits Ces nuits où pas à pas tu grapilles un peu de cette éphémère existence que par un tour de passe-passe tu as réduit à Une minute d’éternité 4  

1 Gustave Roud 2 Rimbaud (Voyelles) 3 Borges 4 Dorio (Librairie-Galerie Racine) 2008

TEXTE À DEVINER PEU À PEU


Filtre à café 3
manuscrit
le fond est de Fabienne Verdier





TEXTE À DEVINER PEU À PEU
C’est à n’y pas croire
 
il ne faut pas croire que le texte que vous lisez va s’écrire tout seul au fil de l’épée de la plume en pensant à autre chose mais vous pouvez le croire si ça vous chante il ne faut pas croire que ce texte est un tissu d’abstractions comme on dit à tort de l’art soi-disant abstrait cosa mentale cependant il l’est un peut tout de même on y a réfléchi mais une fois lancé c’est une autre paire de manches il ne faut pas croire que mon texte est hors-sol sans fond tréfonds fondements sillons creusés dans la terre cultivée par mon père Noël Dorio dont le travail quotidien s’appelait un journal il ne faut pas croire que ce foisonnement verbal n’est pas fait de coupures d’arrêts de pannes d’écriture de sentiers qui bifurquent comme dans les fictions de Borges où l’image de la bifurcation n’est pas celle de l’espace mais celle du temps il ne faut pas croire que le temps consacré à cet espace soit matière à penser le discours de la méthode car il ne faut surtout pas prendre pour argent comptant le je pense je suis mais ce que je suis c’est ce que je deviens le deviner peu à peu, le suggérer : tel est le rêve. Préférer Stéphane Mallarmé à René Descartes, c’est, vous l’avouerez, à n’y pas croire.