JE PARLE AU PAPIER

manuscrit orné de mes hypnographies




« Le parler que j’aime c’est un parler simple et naïf,

tel sur le papier qu’à la bouche… »

Montaigne





Je parle en silence au papier journal

Il dit noir je dis blanc à contre-courant

Je lui en fais voir de toutes les couleurs





Je parle au papier comme dit Montaigne

Dans sa tour en marchant

Faisant tours et gambades





Je parle en marge de mon cahier-journal

Où j’ai préparé mes leçons

pour la reprise des classes :

Leçons de choses et autres

Comment parler de ce que l’on ignore
Comment chasser l’intrus

Comment Socrate avale la ciguë





Je parle au papier toilette

En prenant mes aises

En lisant le journal des poètes insaisissables





Je parle dans ma tête

mais c’est d’une autre parlerie

qu’il s’agit





04/01/2021

je parle au papier (et à l’enregistreur de paroles)

UN JOURNAL DE CINQUIÈME SAISON

manuscrit avec hypnographies (03/01/2021)




Un journal de jours nuls jours lus

depuis les mots de la tribu

de l’attribut qui fait défaut

au dictionnaire à part soi-même





Un journal cinquième saison

Le murmure de ce qui reste

Après l’incendie de l’automne

de la vie de celle qu’on aime





Un journal d’un jour bien rempli

Aidé des bœufs poussant l’araire

aux champs de Naouzos un lieu-dit

Un chant d’oiseau qui veille et dort





Un journal qui laissait de l’encre
Sur les doigts de l’enfant des lettres

Transfiguré –il va de soi-

en abeille des jours heureux


	

FANTAISIES ANACHRONIQUES

(notre vie étant si peu chronologique, interférant tant d’anachronismes dans la suite des jours) Marcel Proust





Je me souviens de Toto Laricot

et de Tata « La Risa« 

Je me souviens de la pipe de Magritte

et de celle du pape Pipu

Je me souviens de Marguerite Yourcenar

et de son Oeuvre au noir

Je me souviens de la Sardine qui a bouché le Vieux Port

et des enfants du Pirée

Je me souviens de Nicolas de Staël

du marteau et de la faucille des Stals

Je me souviens des pâtés d’encre sur le journal

qui protégeait la table de la cuisine

où je faisais mes devoirs d'écolier

et des saucisses qui pendaient au plafond

Je me souviens du petit loup percé d’une plume

et des Amours jaunes de Tristan

Je me souviens de la pèche à la baleine

et de tes beaux yeux bleus tu sais





Je me souviens de toi qui ne se souviens plus de rien

DIRE 1

DIRE 2

DIX BOUGIES SOUFFLÉES SUR LE JOURNAL INTIME DE LA DERNIÈRE BONAPARTE





PREMIÈRES IMPRESSIONS ET PREMIERS ÉMOIS

Alors, tels aussi les peuples exaltant en épopée les humbles débuts de leur histoire,

je me serais servie des universels symboles de l’humanité,

pour chanter mes premières impressions et mes premiers émois.

Marie Bonaparte (1882-1962)





NOTE

            Retrouver dans un grenier, un cahier noir écrit par une enfant d’une dizaine d’années, il y a bien plus d’un siècle, n’est ni banal, ni indifférent. Surtout si ce qui est révélé, se lit dans une langue où se mêlent les événements quotidiens, les élans instectuels (sic) fortement contrariés, voire brisés, les rêves cauchemardesques rapportés, mais aussi les sublimations et l’amour de la vie d’une fillette orpheline, dès sa naissance, de sa mère, se confiant par l’intermédiaire d’une plume et d’un encrier, sur une page quadrillée, mais toujours en cachette, de sa terrible grand-mère paternelle.

            Ce qui suit est la retranscription, sans correction aucune, de trois de ces pages.   

JJ Dorio





                                                           Saint-Cloud 2 juillet 1892

                                               Mon Cher Journal,

                   Pour mes dix ans aujourd’hui, je n’ai eu personne à qui vraiment parler.  Aussi c’est à toi, que je vais, enfin seule, pouvoir me confier. 

                   Écrire à la main sur ton petit carré de papier quadrillé me fait toujours du bien. Avec mes plumes d’acier que je chauffe à blanc à l’aide d’une allumette et qui refroidissent ensuite dans l’encrier avec un bref sifflement.

                   J’écris ceci dans le plus grand secret, profitant de l’heure qui m’est octroyée avant de me coucher. Je devrais alors, si je les écoutais, m’adonner à la lecture des livres permis et à mes prières surannées. Mais, tu le sais, sous les livres, tu apparais, et c’est à toi que je raconte mes journées.

              Aujourd’hui ma nounou Claire est venue me tirer de mon sommeil à sept         heures. Comme chaque matin elle m’a servi la phrase rituelle : 

                   – Avez-vous fait de beaux rêves Princesse ?

                   – De magnifiques Nounou Claire.

         C’était pur mensonge, car tu le sais, mon cher journal, depuis quelque temps je fais un affreux cauchemar à répétition. Un oiseau grand, lourd, à tête jaune de cheval, entre dans ma chambre, en soufflant et haletant et se met à crier :

                    – Disparaissez, disparaissez de ma vue où je mange tout ce que j’aperçois, je picore et déchiquette, écartèle et démantèle. Je nourris de chair fraîche mes enfants !

                   Je me réveille horrifiée. Et me cache entièrement sous mes couvertures dans le lit, jusqu’au moment où, la respiration me manquant, je suis obligée de          réapparaître à l’air libre. Alors, le corps recroquevillé, je chuchote et balbutie, en  répétant :

– Non, non, non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai. Tu n’es qu’un sale Corvidé ! Corvidé ! Corvidé !

                   C’est l’espèce de nom qui me vient depuis quelques nuits. Un nom-poignard pour éloigner et lacérer ce monstre. Une manière de m’encourager à gagner cette bataille nocturne.

                   Bon. J’arrête là ces horreurs et je te parle de l’après-déjeuner.   

              –  Avez-vous bien déjeuné Princesse ?

– Oh oui Nounou Claire, ces nouveaux biscuits sont un délice et un amusement, avec leur corps aux quatre oreilles et leur ventre doré qui fond dans la bouche avec le petit « Lu ».

– Fort bien. Maintenant la sonnette nous indique que vos institutrices vous attendent dans le salon Ligeia.

         Aujourd’hui j’ai commencé par la séance d’Allemand avec Gretchen Holinneck, dont les cheveux pommadés sont un peu dégoûtants. Mais les contes de Grimm qu’elle m’apprend me font rire et pleurer à la fois :

                                      Grigno, grigno, grignoton,

                                      Qui grignote ma maison ?

         Ensuite, poursuivant la ronde des leçons, Madeleine Lemaire qui m’enseigne le dessin et les couleurs, m’a demandé d’observer avec attention le massif de roses du jardin, puis un instant après de choisir trois roses, de la plus claire à la plus sombre.

         J’ai longtemps hésité, tant son désir paraissait impossible à satisfaire. Puis je me suis laissé guider par mes narines qui ont choisi trois parfums correspondant à trois fruits : pêche, abricot et cédrat.

         À partir de cet instant nous avons cherché les couleurs qui correspondaient le mieux à celles des trois roses. Madame Lemaire très sérieuse, portait un pince-nez retenu par un fil qui passait sur son oreille gauche.

         Quand nous eûmes fini de pastisser, la matinée était avancée. C’est alors qu’est apparu Bonne-Maman; avec ce faux sourire enjôleur que je déteste. La vieille Mère-Grand était accompagnée d’un drôle de monsieur barbu et remuant qui transportait une grande boîte sur pieds.

– Monsieur Blondelet, a dit Bonne-Maman en me désignant, voilà Mimi. Vous allez faire d’elle le plus bel autochrome de petite fille jamais réalisé. Nounou Claire est à votre disposition pour l’habiller de couleurs à votre convenance.

         Quelques instants après j’étais parée comme une poupée : chapeau haut comme une cloche, tunique bleue, chemisier blanc et jupe parme, avec des guêtres mettant en valeur mes deux jolis petons.

Le tout dans un décor rapporté de la Corse familiale : muret de pierres grossières et ce pied d’olivier millénaire sur lequel je m’adossai.

         – Ne bougez plus, l’oiseau va sortir, a dit l’autochromiste derrière sa   chambre en bois.

         Je me suis tenue droite, l’air décidé, mes lèvres fines allongées mais sans sourire; ce n’était pas d’un gibbon dont on tirait le portrait, mais d’une petite fille dont l’arrière-grand-père était un frère de Napoléon.

         Pour la seconde pose, on planta une rose sur le vieux tronc d’arbre. 

         À la fin de la séance Bonne-Maman m’a félicité pour ma patience et m’a promis une épreuve, une photo coloriée. Je la glisserai, cher Journal, à la page d’aujourd’hui, que je finis là de peur que Nounou me surprenne.

nb. le postscriptum, a été effacé.

JOURNAL DE NUIT

JOURNAL DE NUIT





Brouilles violentes suivies ou non de raccommodements

Marcel Proust





ainsi apparaît le texte présent





Des fois, ou plutôt Quelquefois, ou encore, par esprit de contradiction, Toujours, on se lance dans une phrase, par pur plaisir de s’y lancer, comme l’on court d’un coup, ou plutôt tout à coup, poussé par on ne sait quelle mouche, piqué pourrions-nous dire, par le taon qui excitait Socrate, ou plus modestement les bœufs qu’un certain père, le mien, joignait, jurant quelques mille dious de remille dious, sur les quatre heures d’une journée exceptionnellement caniculaire qui ne pouvait laisser les bêtes en place, malgré dentelles qui étaient censées protéger leur mour, museau, qui à l’instant vous suggère quelques autres vocables en file, tels muse, musette, musaraigne, ces deux derniers mots, vous venez de le découvrir, ayant été synonymes, de mus souris et de la venimeuse araignée, que l’on vous a fait associer dès la plus tendre enfance aux formules magiques opposant celle du soir espoir, à celle du matin chagrin, quant à la nuit, en cet instant précis, quatre heures cinquante-six, vous pourriez ajouter, par exemple, araignée de nuit s’enfuit…et là, la phrase, pour autant qu’il s’agit d’une phrase, se casse, s’éparpille, perd son souffle initial et va se pointillant…. n’est pas asthmatique qui veut se dit-on souriant, ouvrant gaiement les guillemets, un jeu d’enfant avec la machine savante dont nous disposons depuis le début de notre course à la phrase-échalote : « Il y a des asthmatiques qui ne calment leur crise qu’en ouvrant les fenêtres, en respirant le grand vent, un air pur sur des hauteurs, d’autres en se réfugiant au centre de la ville, dans une chambre enfumée », et d’autres, aurait pu ajouter ce prosateur hors pair, en composant des phrases sans fin, qui se tournent et retournent, ligne à ligne, vers à vers, telles ces raies du labour, inlassablement tracées le jour durant, par ce fier paysan, guidant droit ses bœufs, encore eux, et dont la surface labourée de l’aube au crépuscule s’appelait… un journal.

Un dictionnaire à part moi
travail en cours de réalisation




journal de nuit diction