TU GRIGNOTES DANS LA NUIT
ce biscuit inactuel que l’on appelle encor – semble-t-il ? – un poème Avec la craie qui le traça sur le tableau noir de l’enfance Avec le stylo feutre bleu qui enjambe les ponts et les refrains présents Avec tes doigts de vieux copiste aimant les lettres illuminées salle des poèmes perdus
TU TE PERDS DANS DES PAGES
si bien qu’entre deux sommes, le livre rouvert semble être un autre roman. Rien vraiment de rassurant. Tu vas faire une lettre dès demain à l’Éditeur en le priant de la transmettre à l’Auteur, qui en sera ravi ou marri. À moins que ce soit l’Imprimeur qui ait assemblé ton exemplaire de manière aléatoire. En attendant, vaille que vaille, tu te dis qu’après tout, ce désordre-là, est un pas ouvert à l’esprit.
Mis en abyme, ton roman prend les couleurs d’une expérience participative. Et te voilà, lecteur libéré, dialoguant, interpellant les personnages, qui semble-t-il n’en font qu’à leur tête. Tu interviens carrément dans leur conversation, l’action, et même tu y vas de ton flux ininterrompu qui en de longues phrases sinueuses entretient la sous-conversation d’un monologue intérieur. Une page perdue, dix de retrouvées.
UN ROUGE GORGE SE BALANCE
sur le frêle grenadier qui porte ses quatre fruits vernissés et ses dernières feuilles jaunes tremblantes au vent de Toussaint. Tout en observant l’oiseau remuant derrière la porte-fenêtre du salon j’improvise une ballade sur mon piano du pauvre mais en sourdine pour ne pas faire fuir le familier. Passe passe passereau Aux morts ne jetons pas la pierre Passe passe mon pierrot Tic tic tic tsuiit La vie est un mystère.
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LIRE AU LIT
Lire au lit l’ironie pont aux ânes des revuistes
lire au lit les yeux fermés rêvant de ce je ne sais quoi et de ce presque rien
lire au lit de la fiction de la friction de l’affliction de l’émotion
lire au lit lirola tirouit de l’alouette et vrilles du rossignol
lire au lit cette ligne paradoxale que quelqu’un écrivit avant toi
lire au lit un passage à haute voix pour celle qui à tes côtés lit aussi
lire au lit des aveux des avis des avertissements des points sur les i
lire au lit des poètes baroques des perles ignorées
lire au lit en levant la tête seul sans paroles sans bouger au ralenti
lire au lit un barbare en Asie illustré par des encres de Zao Wou-Ki
lire au lit des histoires rongées par le remords l’écoulement du temps
lire au lit de la philosophie l’inquiétude vitale la quiétude des sages
lire au lit ces carnets d’une vie que j’ai écrits bon an mal an jusqu'à mes quatre fois vingt ans
lire au lit nos livres de chevet qui se cachent dans un nocturne infini
L’OR DU TEMPS
Le geste et la parole
Et la main qui écrit
Et qui mime le monde
L’agent agissant l’agi
Le parlant la parole
Et le souffle des mots
Et le démon du rythme
Qui peut donner l’illusion
De dire vrai
Ou dire n’importe quoi
C’est le dilemme
Entre la Môme Néant
Et la Môme Imagination
Qui chante la réalité
Et c’est la forme
Qui nous reste habituellement
Invisible celle du Temps
Oui c’est la recherche de cet espèce d’espace
sonnant et trébuchant
Que le pape du surréalisme appelait
l’or du temps
L’HEURE HORS TEMPS
Le livre nouveau d’un professeur émérite qui vient de quitter le Collège de France (relire à la fin Le cadeau sans fin ) cite maintenant un livre de poèmes en espagnol paru en 1958 Il s’agit de La hora sin tiempo de Jorge Blajot (1921-1992) « considéré comme un poète existentialiste, avec une vision profondément religieuse, très sensible au mystère et au paradoxe de la foi ». À propos du titre, que j’ai traduit L’heure hors temps, voilà que par ricochet le livre d’un Japonais paru en 1330, apparaît : Heures sans temps, Au-delà du temps, À l’intérieur du temps, les titres se chevauchent.
Je m’apprête à abandonner ma lecture sur écran quand, sur un site prolongeant les recherches poétiques de La hora sin tiempo, un abécédaire magique apparaît à mes yeux. Il s’agit d’une sorte d’atelier d’écriture proposée aux participants, qui tirent des mots au hasard, recopiés sur des cartes en couleur, puis doivent répondre à certaines sollicitations, du genre : quels souvenirs évoquent pour vous le mot Ausencia (absence), quel rapport avec un événement particulier de ta vie ?
Ainsi apparaissent
Abrazo Agua Águila Amanecer Amigo Amistad Atardecer Ausencia
Caminar Camino Cansancio Casa
Desierto
Esperanza Espinos
Flor
Hermano Hogar
Intimidad
Justicia
Lámpara Libertad Llamada
Madre Manential Mano Mar Muerte Música
Naufragio Niño Noche
Pan Paz Piedra Primavera
Regazo Roca
Sencillez Sendero Silencio Soledad Sufrimiento
Torrente Trabajo
Ventana Verdad Violencia
En les recopiant scrupuleusement j’aperçois leur pouvoir, celui de faire signe, d’ouvrir la possibilité d’un poème en prose, chemin faisant.
11 avril 10h52
NON RIEN
Non rien
De concret
La voie
De l’instant
Était pourtant
Vide
Propice
Au langage
Liant les mots
Et les choses
Mais rien
N’est venu
De solide
À demain
L’Eurêka