ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT? 4 Le voyage dans la voie lactée

LE VOYAGE DANS LA VOIE LACTÉE

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? – J’arrive à peine d’un long voyage dans la voie lactée. Une giclée de lait de la déesse mère de l’enfant Zeus, trop avide à titiller le téton de sa maman. -Non ? -Oui, c’est ce que se racontaient les anciens Grecs. -Nom de Zeus ! -Ah il y a de quoi jurer. -Et pourquoi donc ?  – Pour les dimensions de la Voie, une galaxie de centaines de milliards d’étoiles. -Y compris notre Soleil ? -Évidemment, et sa petite Terre, minuscules au regard de la voûte éclairée qui traverse notre ciel. -Et qu’as-tu encore vu dans ton voyage au long cours ? – Une chose que peu de gens connaissent. C’est sans doute le fait que j’ai revu hier, non sans une intense émotion, le film tourné par mon ami Michel dans cette contrée semi-désertique du Venezuela où vivent les indiens Goajiro. Notre voie lactée est pour ces amérindiens le chemin des morts. Quand leur âme quitte la terre, elle s’en va sur ce chemin qui les conduit vers l’île d’Hépira où dans un premier temps ils font bombance et se livrent à toutes les débauches possibles et imaginables. -C’est ça leur paradis ? -Oui, mais attends, il y a une seconde phase, symbolisée par un second enterrement où l’on nettoie soigneusement les derniers ossements des défunts. « Alors nos âmes, racontaient les derniers conteurs du mythe, reviennent sous forme de Pluie (Juyá) et de ses fruits (melon, pastèque, maïs, haricot), de gibier, de tout ce qui fait flore et faune du lieu. – Merci pour m’avoir rendue curieuse de cette autre voie. – Oui, je ne sais combien d’indiens encore y croient ? Ceux et celles qui cheminent dans la voie lactée, spîna wayú ouktïsï, le chemin des indiens morts. Le chemin des indiens morts Michel Perrin 1976 pour la première édition https://www.youtube.com/watch?v=UCTcCYT8mVQ

LA NUIT EN DIX QUATRAINS

La nuit
comme rencontre
du sommeil
sans sommeil

La nuit
comme l’écart
du Corps
et de l’Esprit

La nuit
comme ton âme
en allée
dans ta nuit

La nuit
comme ta grâce
ignorée
des miroirs

La nuit
comme les flaques
de la mer
sur le sable

La nuit
comme une écharde
dans la main
du silence

La nuit
comme un sentier
dans la voie lactée
des indiens morts

La nuit
comme les clefs
qui n’ouvrent
aucune porte

La nuit
comme la perte
des songes
et des promesses

La nuit 
comme l’encre noire
qui a tracé
cette page
























JE ME PERDS DANS BORGES

JE ME PERDS DANS BORGES

La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s’y trouve.

Rûmi

*

Je me perds dans Borges

la nuit des dons – noche de los dones –

brise le miroir et le masque

el espejo y la máscara –

Je me perds dans les mille morceaux de cette œuvre dont chacun semble contredire le précédent et le suivant

Miroir brisé par le poing d’un dieu jaloux qui ne laisse aux lecteurs que les fragments d’une allure de vérité

Je me perds à l’angle de la rue Bernardo de Irigoyen et de la rue des Bergeronnettes de celles qui suivaient mon père laboureur

Je me perds dans les prologues qui mènent immanquablement au jardin des sentiers qui bifurquent et qui font pièce à des ouvrages hétérogènes d’écrivains improbables

Je me perds dans les visions simultanées de l’Univers que le langage ne peut traduire que successivement :

la neige coiffant la statue d’un soldat de 14 sur une place des Hautes Pyrénées

les grains de sable du Sahara coulant dans le cadre d’un artiste marocain vivant à Aix en Provence

la voie lactée où marchent sans cesse les indiens morts de la Goajira*

-Tu as bien vu tout en couleur ? demande Borges.

-Comme dans ce livre d’enfant où toutes les lettres pendant la nuit se mélangent et nous offrent au matin un chant nouveau.

*

*Le chemin des indiens morts Michel Perrin (1976)