BIBLIOTHÈQUE EN DÉRANGEMENT

UN DICTIONNAIRE À PART SOI
mais en toujours en désordre alphabétique





BIBLIOTHÈQUE

Je me souviens que j’ai beaucoup de livres dédicacés que j’ai toujours eu envie de rassembler, mais ce n’est pas du goût de ma bibliothèque qui aime être toujours en dérangement.

CRITIQUE

Je me souviens de la nouvelle critique et de critique de la critique que je lisais un jour en salle d’attente je retrouve ce que j’écrivis alors sur une page du livre J’attends chez le docteur Je lis Critique de la Critique Ma fille à mes côtés lit La vie mode d’emploi Je lis l’entretien de TzvetanTodorov avec Paul Bénichou « la littérature comme fait et valeur » Je lis nous lisons Nous portons sur le dos le poids des idéologies d’un autre temps Et puis le docteur vient nous chercher Derrière sa grande baie vitrée nous voyons l’étang de Berre d’un bleu noir qui contraste avec la Sainte Victoire plus blanche qu’un peuple de colombes

GOBER

Je me souviens qu’enfant je gobais les œufs tout chaud fraîchement pondu, je les dénichais sous notre hangar entre les bottes de paille.

JE N’ARRIVE À VIVRE BIEN QU’AVEC LA NUIT

 
Je n’arrive à vivre bien qu’avec la nuit.
Aveugle d’abord, durant ce fameux premier somme,
où s’introduit et nous agite la folle du logis.
Puis les yeux se dessillent et l’on suit les pas du premier venu,
un livre qui nous a endormi, ou un autre que l’on va chercher
à tel endroit de sa bibliothèque,
soudain pris par la manie de le consulter à nouveau.
Cette nuit c’est Hugo,
Tous deux muets nous contemplâmes le ciel où s’éteignait le jour,
Que se passait-il dans nos âmes ? Amour Amour !
C’est le corps ma compagne, longtemps à mes côtés,
c’est son corps dont je n’apprends pas à me passer.

Puis les yeux à nouveau fermés,
je vois se dessiner « demain dès l’aube »,
le sonnet dédié à Léopoldine
dont la mort laissa trois ans, dit-on, le père Hugo,
sans plume et sans papier.
Une voix venue d’Outre-Tombe me le récite,
mais « coince » soudain sur un vers,
celui qui suit « je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps ».
Je sais qu’il est question de « pensées »,
de celles qui nous plongent, contre notre gré,
dans nos ténèbres intérieures.
 Je fais alors la lumière et mets un terme à ce texte ainsi couturé.
Par sa perte.


	

J’AIMERAIS MIEUX PAS

J'aimerais mieux pas
Je suis entré dans la période Bartleby
Du jour au lendemain écrire de nouvelles lignes...
J'aimerais mieux pas

- Et ce que tu viens d'écrire ? me dit mon intime contradicteur.
-- Nuance, réponds-je, celles-là et les prochaines, je les recopie,
afin de me débarrasser définitivement de mes carnets, journaux,
papiers d'identités fictives,
tout ce fatras qui encombre ma bibliothèque.

J'aimerais mieux pas
- C'est votre denier mot Mr Bartleby ?
- I would prefer not to*

*Herman Melville (Bartleby,the Scriven)




MILLE ET UNE MANIÈRES D’ÉCRIRE UN POÈME

écrire un poème sur le cornet à dés

de Max Jacob

jamais n’abolira

Stéphane Mallarmé





écrire un poème est décourageant

c’est comme la pipe de Magritte

qui n’en est pas une





écrire un poème est excitant

c’est un ours qui danse

sur la place du village

de ton Ariège natale





                                                               écrire un poème à deux heures du matin                

est – vous l’aviez remarqué – un alexandrin





écrire un poème

lancer sa toupie et la regarder

jusqu’à ce qu’elle cesse de tourner





écrire un poème

entre deux stations de métro

c’est un exercice de style

Oulipo





écrire un poème à l’encre de Chine

c’est bien mieux

que l’écrire à l’encre bleue





écrire un poème en mai 68

avec une bombe crachée sur les murs

c’était  jouissif





écrire un poème c’est fortuit

fort de café

et bouteille à l’encre





écrire un poème

c’est une prière

d’insérer





écrire un poème

c’est sauter à la corde

dans une bibliothèque en feu





écrire un poème

ça ne s’invente pas

c’est la fable du chêne et du Queneau





écrire un poème sur un horizon

où les chiens aboient

c’est du Lorca





écrire un poème pour ma fille aînée

à Louise Michel

et pour ma cadette

à Manhattan





écrire un poème

taratata

turlututu

mirlababi
surlababo






écrire un poème

mais jamais le même

ça t’en bouche un coin





écrire un poème au lit

que personne ne lit

en comptant ses pieds





écrire un poème

qui aie de vous merci

a dit Frère Villon

avant d’être pendu





écrire un poème sur le livre

De ton ancien professeur de Rhétorique

En mangeant des éclairs au chocolat

(on dirait du Pessoa)





écrire un poème à la terrasse des cafés

sur un carnet à ressort

ça tu l’as mille fois fait





écrire un poème quand les voix résonnent

dans la tête de la danseuse espagnole

                                                                                     que Miró épingla            





écrire un poème de ton bras zéro

longtemps tu hésites entre trois mots

l’onyx ? les nixes ? Madame X ?





écrire un poème

dans la caverne de Platon

le mythe du poète

chassé de la Cité





écrire un poème

qui rêve d’un papillon

ou de Tchouang-tseu





écrire un poème sur le piano du pauvre

les blanches et les noires

autour du cou

la chanson guimauve Toscanini s’en fout

chante Léo Ferré





écrire un poème

sur la photographie de Verlaine

tu te souviens des jours anciens

et tu pleures





écrire un poème

 sur l’origine du monde

un enfant nous est né !





écrire un poème

sur le toit tranquille

où marchent des colombes

ce n’est pas l’écrire

sur le livre de l’intranquillité





écrire un poème

en jouant aux billes

au jeu de barre

à l’enfant mélancolique

perché sur ses nuages





écrire un poème

inachevé

et que n’ai-je l’éternité

pour le terminer





6 août 2019

9.45





Noms propres (par ordre d’apparition)

Max Jacob Mallarmé Magritte Ariège Picasso Pierrot  Queneau Lorca Louise Michel Manhattan  Villon Léo (Ferré) Valéry Pessoa  Miró Platon Madame X Tchouang Tseu Toscanini Verlaine etc


ON DIT

On dit on ne badine pas avec l'amour
On dit il pleut il pleut bergère
Ô Tour Eiffel !
On dit la mer la mer toujours recommencée
On dit adieu à Alfred de Musset

On dit on achève bien les chevaux
On dit des souris et des hommes
On dit le cimetière des éléphants
On tire le diable par la queue

On dit lira bien qui lira le dernier
On dit le vieil homme et la mer
On dit le vieux qui lisait des romans d'amour
On brûle ses livres Fahrenheit 451

On dit c'est moi qui souligne
On dit c'est moi qui traduis
"Moi dont la figure du Paradis
Se reflète dans ma bibliothèque"*


*Yo que me figuraba el Paraíso
Bajo la especie de una biblioteca

Borges