Encore un carnet de 80 pages
plein comme un œuf
Sur la dernière page voilà la paire de bœufs de mon père
Qui vont partir au travail
Pour qu’on leur change les fers
Deux fers au feu
Dit le dernier vers
Jean Jacques Dorio Un poème inédit par jour
Encore un carnet de 80 pages
plein comme un œuf
Sur la dernière page voilà la paire de bœufs de mon père
Qui vont partir au travail
Pour qu’on leur change les fers
Deux fers au feu
Dit le dernier vers
JOURNAL DE NUIT
Des fois, ou plutôt Quelquefois, ou encore, par esprit de contradiction, Toujours, on se lance dans une phrase, par pur plaisir de s’y lancer, comme l’on court d’un coup, ou plutôt tout à coup, poussé par on ne sait quelle mouche, piqué pourrions-nous dire, par le taon qui excitait Socrate, ou plus modestement les bœufs qu’un certain père, le mien, joignait jurant quelques mille dious de remille dious, sur les quatre heures d’une journée exceptionnellement caniculaire qui ne pouvait laisser les bêtes en place, malgré dentelles qui étaient censées protéger leur mour, museau, qui à l’instant vous suggère quelques autres vocables en file, tels muse, musette, musaraigne, ces deux derniers mots, vous venez de le découvrir, ayant été synonymes, de mus souris et de la venimeuse araignée, que l’on vous a fait associer dès la plus tendre enfance aux formules magiques opposant celle du soir espoir, à celle du matin chagrin, quant à la nuit, en cet instant précis, quatre heures cinquante-six, vous pourriez ajouter, par exemple, araignée de nuit s’enfuit…et là, la phrase, pour autant qu’il s’agit d’une phrase, se casse, s’éparpille, perd son souffle initial et va se pointillant…. n’est pas asthmatique qui veut se dit-on souriant, ouvrant gaiement les guillemets, un jeu d’enfant avec la machine savante dont nous disposons depuis le début de notre course à la phrase-échalote : « Il y a des asthmatiques qui ne calment leur crise qu’en ouvrant les fenêtres, en respirant le grand vent, un air pur sur des hauteurs, d’autres en se réfugiant au centre de la ville, dans une chambre enfumée », et d’autres, aurait pu ajouter ce prosateur hors pair, en composant des phrases sans fin, qui se tournent et retournent, ligne à ligne, vers à vers, telles ces raies du labour, inlassablement tracées le jour durant, par ce fier paysan, guidant droit ses bœufs, encore eux, et dont la surface labourée de l’aube au crépuscule s’appelait un journal.
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

J’ai vu enfant mon père dressant ses rudes bœufs Ses mains à charrue Tiraient le sillon Comme les vers des mains à plume de Rutebeuf

Un journal de jours nuls jours lus
depuis les mots de la tribu
de l’attribut qui fait défaut
au dictionnaire à part soi-même
Un journal cinquième saison
Le murmure de ce qui reste
Après l’incendie de l’automne
de la vie de celle qu’on aime
Un journal d’un jour bien rempli
Aidé des bœufs poussant l’araire
aux champs de Naouzos un lieu-dit
Un chant d’oiseau qui veille et dort
Un journal qui laissait de l’encre
Sur les doigts de l’enfant des lettres
Transfiguré –il va de soi-
en abeille des jours heureux

DES MOTS DE MON ENFANCE
Des mots de mon enfance
ont disparu dans le dédale
de l’histoire qui oublie
les rebouteux
les pleins et déliés
de la gauloise
trempée dans l’encrier
du pupitre
Qui oublie
le joug liant
Mulet à Mascaret
le bœuf blanc et le tacheté
les tours de saucisse
qui pendaient au plafond
les punaises
de bénitier
les maux de poitrine
qu’on guérissait
le dos plein de ventouses
passées à la flamme
(le reste manque…)