DES LIGNES DE GRATITUDE

Des lignes de gratitude
J’en ai beaucoup à gratter
À la plume sur le papier

Pour les vivants et les morts
Et d’abord pour mon épouse
Qui fut vivante jusqu’à sa mort

Pour mon père que je n’ai pas tué
Et ma mère que je n’ai pas épousée


(S’ils me lisaient
la référence au mythe d’Œdipe
leur manquant
ils seraient quelque peu désappointés)

Pour mes filles et leurs rejetons
Qui me prolongeront


Pour mes lectrices et lecteurs
Aussi rares que précieux

Pour les bonnes rencontres
D’amies et d’amis perdus
Et parfois retrouvés

Pour les livres de ma librairie 1
Et plus précisément
Ceux que je fatigue sans cesse


Ce sera tout pour aujourd’hui
Premier jour du printemps
De l’an deux mille vingt-quatre

1 ainsi Montaigne nommait notre bibliothèque

des signes de gratitude hypnographies du 26 mars 2024

JE RÊVE DE RÊVES SANS FIN

RÊVES EN PAGAILLE 3

Je rêve de rêves qu’il m’est impossible de transcrire tant ils sont embrouillés Je rêve de mon épouse disparue qui met un doigt sur mes lèvres en me disant Chut Je rêve de rêves sans fin qui nécessiteraient des pages d’écriture alors que mon propos n’est que de rapporter des rêves brefs Je rêve d’images et de paroles rapportées issues plus de mes pratiques d’écriture que de rêves chimiquement purs Je rêve de rêves lus chez Butor Matières de rêves, chez Michaux Façons d’endormi Façons d’éveillé, chez Jaccottet dans ses Semaisons, Tabucchi Rêves de rêves, Dorio Je T’RêveJe rêve de rêves qui font trop de mal à l’image d’êtres chers qui se sont tus De rêves qu’il m’est impossible de rapporter Hermétiques fermés comme disaient les troubadours pratiquant le trobar clus ou les enfants chantant dans la cour de récré Les portes sont fermées à clef !

TU NE CESSES D’ÉCRIRE

 

tu ne cesses d’écrire
les yeux fermés
tu ne cesses de voir
les fantômes du passé
dans la mémoire
d’une nuit d’encre
 
tu ne cesses d’écrire
ce que tu ne savais pas
que tu allais écrire
ce à quoi sans ton écriture
tu n’aurais jamais pensé
 
tu écris à la diable cette histoire vécue
une nuit que tu dormais seul
dans une vielle bicoque de l’altiplano péruvien
entouré de crânes et de momies
réveillé par un être incréé
sur les minuits
qui grattant à l’huis
suppliait – par Viracocha ! –
que tu le laisses entrer
 
tu ne cesses d’écrire
sur la pointe des pieds
les paradis perdus
ton épouse déchirée
les promesses non-tenues

  tu ne cesses d'écrire
sans espoir et sans but
mais quand même sans rature
le geste de l’archer
l’orthographe libérée
l’insouci de la rime
 
tu ne cesses d’écrire
c’est fini à présent
tu peux tout effacer