Tu te souviens de l'autobus vert avec un toit blanc
Mais était-ce un R ou un S ?
Tu te souviens de sa plate-forme arrière
Où tu montas un livre ancien sous le bras
Tu te souviens qu'un type vint vers toi
Tu te souviens qu'il avait tout d'un freluquet au long cou
Comme le héron de La Fontaine
Tu te souviens que le bus passa devant un cinéma qui programmait la Soupe au Canard
Tu te souviens de la séquence où Groucho Marx cigare au bec
tire le rideau d'une fenêtre pour empêcher un boulet de canon de traverser la pièce
Tu te souviens du contrôleur criant Gare Saint Lazare :
Terminus des Exercices de style !
Tu te souviens qu'alors tu t'es dit à tout hasard
Je vais coucher tout ça par écrit la main sur la charrue du vocabulaire
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ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT ? 1 L’AMOUR DES FIGURES
ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT ?
-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Chut, c’est déjà 4h44 et je commence à peine à fendre les flots. Je me réveille d’un rêve idiot où avec une foule indistincte je devais faire une traversée du désert, quand je m’apercevais que j’avais oublié mes lunettes de soleil. Il ne me restait plus qu’à attendre le clair de la lune. -Mon ami Pierrot ! -Non, Pierrot mon ami, plutôt. – Késako ? -Ah ! je vois que tu ne connais pas le père Queneau. -Mais si. S’il s’agit de Raymond un professeur de quatrième m’a fait lire et inventer à mon tour ses Exercices de Style. -Parfaitement, il a écrit 99 fois la même histoire, celle d’un type, d’un mec, d’un gonze, d’un monsieur quoi, qui aperçoit dans un bus un homme coiffé d’un chapeau qui se dispute avec son voisin. -Et à la fin, si je me souviens bien, le narrateur (j’ai appris la notion à ce moment-là), revois son bonhomme à la gare Saint Lazare, en présence d’un autre gus qui lui fait une remarque sur le bouton de son pardessus. – Exact. Il ne restait plus qu’à Raymond l’ami des exercices de style que de lister et d’employer ces figures dont certaines nécessitent l’emploi d’un dictionnaire spécialisé (les litotes et autres synchyses, homéotéleutes, paréchèses…) -Nous on s’était contenté d’exercices plus simples comme l’emploi du présent, ou du passé simple ou composé, et aussi des fantaisistes écritures en javanais, en java à trois temps ou jazz syncopé. -Oui, sans oublier l’arc-en-ciel, semblable au sonnet des voyelles ou le philosophique à tendance phénoménologique. -Un phénomène ce Queneau, mais tu ne m’as toujours rien dit de Pierrot mon ami. -Hélas comme tu peux le constater ma carte est pleine et mon exercice est terminé. 23/04/2023
Complément 1 : ce qu’en disait Queneau à un Ribemont-Dessaignes
Les Exercices de Style : je suis parti d’un incident réel, et je l’ai raconté d’abord douze fois de façon différente, puis un an plus tard j’en ai refait douze autres, et finalement il y en a eu quatre-vingt-dix-neuf. On a voulu voir là une tentative de démolition de la littérature, ce n’était pas du tout mes intentions, en tout cas mon intention n’était vraiment que de faire des exercices, le résultat c’est peut-être de décaper la littérature de ses rouilles diverses, de ses croûtes. Si j’avais pu contribuer un peu à cela, j’en serais bien fier, surtout si je l’ai fait sans ennuyer trop le lecteur.
Complément 2 : une variation mienne cette même nuit du 23 avril 2023
Dans l’X à une heure d’influence de Vénus, une fille d’avril, charmante et sans fil, lit un roman rose qui commence place de la Contrescarpe à Paris. Son héroïne est amoureuse, mais au début on ne sait pas de qui. En tout cas, pas du damoiseau assis à ses côtés et qui essaie, en vain, d’attirer son attention en récitant des fables de La Fontaine. À fin du trajet, n’y tenant plus, la jeune fille d’avril, le regarde droit dans les yeux et lui lance -Et Butor, vous l’avez lu !
21 EXERCICES D’UN RÊVEUR VIGILANT
JE T’RÊVE Ah ! Si je connaissais un homme Qui oublie le langage Pour avoir à qui parler. Tchouang Tseu Je rêve que j'erre dans l'infini des rêves de mon être imaginant Je rêve de la fin de partie de ma vie d'enseignant et de la folle école Je rêve que l'on m'appelle par dérision Maître François Villon L'an soixante-sixième de mon âge Je rêve encor d'enfantillages Je rêve du crayon et de la craie Je rêve du lézard et du chardonneret Je rêve de la prise d'Ilion et du cheval de bois JE T’RÊVE (21 exercices d’un rêveur vigilant) Editions Rafael de Surtis décembre 2011
EXERCICES D’ÉCRITURE D’UN INSENSÉ
Je ressors du grenier une centaines de fiches de toutes les couleurs (10×21 cm), sur lesquelles j’ai écrit des lignes et des lignes, chaque nuit, comme un insensé. Les mots accumulés (bien que souvent venus « au compte-goutte ») étaient comme de petits dieux de passage que je suivais innocemment : un lézard amoureux par ci, les rêves d’un papillon par là, et même un trou noir photographié pour la première fois au centre de la Galaxie M 87, tout ce qui passe au fil de la plume nous faisant oublier combien il y a loin de la coupe aux lèvres. Je ressors du grenier ces fiches regorgeant d’étranges étrangetés, exercices tracés à la pointe d’un stylo s’imaginant calame. Le K, l’âme de cette nouvelle de Buzzati que j’ai faite à chaque rentrée lire à mes élèves collégiens qui l’auront pour la plupart, et pour leur plus grand bien (ou mal, l’hésitation est permise), oubliée. Le K animal débonnaire et porteur de la pierre d’immortalité, était pris par l’enfant héros comme un monstre qu’il ne fallait pas approcher. Croiser et recroiser, ces obscures clartés, collages intempestifs exposés au Moma (Mona Lisa des Champs : LHOOQ), « exercices d’exorcismes » à la Michaux, où l’on fait halte une heure, en balbutiant quelques mantras à son papier. Une heure, où l’on est successivement fourmilier aperçu dans le llano vénézuélien, lézard amoureux de Char, papillon de Tchouang Tseu, arbre qui cache la forêt de symboles abolis.
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi
TROIS NOUVEAUX TEXTES ÉCRITS COUCHÉ
LONGTEMPS JE ME SUIS COUCHÉ
Je me souviens qu’un jour j’écrivis Longtemps je me suis couché de bonne heure. Jamais je n’aurais imaginé que ça allait devenir l’incipit le plus célèbre de la littérature française. Je peux témoigner que j’ai cherché bien d’autre phrases premières, de celles qui accrochent ou non le lecteur. Et d’ailleurs, les manuscrits déposés à la BNF en attestent, je la trouvais si banale et proche du degré zéro de l’écriture, que je l’ai souvent barrée, biffée, exécrée. Mais bon, un jour pressé par l’éditeur, j’ai remis ainsi mon manuscrit. J’avais perdu assez de temps et j’avais hâte de confronter mes lecteurs à la présence d’un narrateur qui s’éveillant au milieu de la nuit, ignore où il se trouve et ne sait même plus au premier abord qui il est.
EXERCICES
Sans exercices il n’est nul art. Exercices quotidiens s’entend et de tout type et en tous lieux. Jeux d’enfants dans Broadway, entrées de clowns à l’asile, vouvoiement à quelqu’un que l’on tutoie (et vice versa), exercices d’attrapages de mouches sur les vaches sacrées, de tutage de grillon que l’on apporte dans le fournil du boulanger, et des grenouilles de l’étang que l’on leurre avec un chiffon cédé par Monnet, invention d’une langue commune aux Babéleux, etc
Sans exercices il n’est nul art mais l’art n’est pas exercice.
PAPIERS D’IDENTITÉ
Étrangeté jamais démentie, relire ses « papiers d’identité », ses multiples carnets d’instants rapportés plus d’un demi-siècle durant, de dessins à la plume ou au pinceau, de pincées de poèmes inachevés (ils le sont tous). Milliers de pages de tout format, de toute forme essayée. Blablas, babels, exercices sans style, mais au stylo sur ce papier qui parfois est devenu muet et d’autrefois continue étrangement « à nous parler ».
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