J’ai passé ma vie de lecteur (de 7 à 77 ans) à fuir Proust. Et puis, allez savoir pourquoi, alors que je fêtais mes 77 printemps, je suis tombé dans la marmite de Marcel. Lors, il n’est pas un jour où je ne prends pas le temps de touiller et de trouver dans l’œuvre reine de la littérature une inspiration décuplée. Telle cette grand-mère qui dans le jardin vide et fouetté par l’averse, relevant ses mèches désordonnées et grises pour que son front s’imbibât mieux de la salubrité du vent et de la pluie disait : Enfin on respire !
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JE ME SOUVIENS de l’art d’enchaîner
13 Je me souviens de Messieurs les censeurs Bonsoir !
14 Je me souviens que ma grand-mère Germaine ramassait des orties pour en nourrir ses petites oies
15 Je me souviens d’Action Poétique, de Change, mais pas de Tel Quel
16 Je me souviens du rouge est mis et du cadavre exquis
17 Je me souviens des Pléiades qui sont les étoiles de la pluie dans la mythologie des indiens Goajiro
18 Je me souviens du Chemin des indiens morts, le recueil de ces mythes rapportés et mis en perspective structuraliste par mon ami Michel (Perrin)
19 Je me souviens d’avoir lu à haute voix sans rien y entendre les Illuminations dans les Andes fleuries de frailejones « espeletia pycnophylla »
20 Je me souviens des frères des frères des frères il y avait il y avait il y avait une fois…ce mythe nous retiendra très longtemps
21 Je me souviens des navets que mon père tranchait pour nourrir les cochons (mais je ne me souviens pas des rutabagas)
22 Je me souviens des Tres Tristes Tigres (Trois tristes tigres) et de la nuit passée à La Havane avec mon amoureuse
23 Je me souviens de l’atelier-fruits, inducteurs d’un atelier d’écriture imaginé par Josiane Dorio, que nous avions préparé de concert et fait exécuter par des participant.e.s enthousiastes à la Bugade de Villeneuve les Avignons
24 Je me souviens de l’art d’enchaîner dans des éléments non-formels tels que reflets, résonances, allusions, transferts, supputations, selon Bashô (1644-1694)
LES DEMOISELLES DU TÉLÉPHONE
TÉLÉPHONIE
Tâtonnant dans la nuit, je quitte le bureau de poste où la voix aimée de Grand-Mère ne répond plus.
Ou bien, je crois entendre, mon oreille collée au récepteur, Orphée, répétant le nom de sa morte.
En paraphrasant ainsi, l’auteur prodigieux de la Recherche, je réinterprète alors, cent ans après, la partition des Filles de la Nuit, Messagères de la Parole, ces Demoiselles du téléphone, divinités sans visages.
Sans aucun affect, leurs voix volontairement douces, mais devenues, avec le temps, impitoyables, répètent ad libitum : « Il n’y a plus d’abonnée, au numéro que vous avez demandé. »
« TA PAUVRE VOIX BRISÉE MEURTRIE »…ainsi le narrateur fait l’amère expérience des premières communications transmises par la voix de sa divine mère, au téléphone.
Alors qu’en lui écrivant une lettre, elle savait cacher en une forme maîtrisée, ses joies et ses peines, elle ne peut, en revanche, parlant au bout du fil, donner le change ; sa voix brisée, vaincue, traduit (trahi), la perte insupportable de celle qui l’engendra et l’accompagna, intimement, tout au long (cours) de sa vie.
Et en effet, dans ces cruelles circonstances, cette voix (trop) lointaine, sans le secours du visage aimé à proximité, les caresses de ses yeux, nous glace.
À l’inverse et pour ma part, je n’ai pas oublié le beau visage ridé de ma grand-mère, assise au coin du feu (le cantou), qui me racontait son passé, vivifié par ma présence, me donnant l’illusion que cette voix singulière, ne serait jamais perdue comme, paradoxalement, ces voix sans personne, que proposait Jean Tardieu, entouré de ses amis poètes, au Club d’essai, l’émission d’une radio libérée en 1945 (la date de ma naissance, couchée sur le livret de famille).
(Un dictionnaire à part moi : deux textes en cours)
JE TIENS REGISTRE DE MES FANTAISIES
JE TIENS REGISTRE DE MES FANTAISIES
Je ne puis tenir registre de ma vie par mes actions,
fortune les met trop bas; je les tiens par mes fantaisies.
Montaigne
Je pousse les mots un à un
comme brins de tabac
dans la pipe cubiste
de Guillaume Apollinaire
Je pousse mémé dans les orties
Ma grand-mère les cueillait religieusement
et les passait au volant
pour nourrir ses aucous
– ses petits oisons cacardant –
Je pousse une à une mes citations
qui me somment de penser
de rêver de résister
au monde brinquebalant
Je pousse la chansonnette sous la Croix du Sud
un joropo llanero du Venezuela
buvant de petites bières glacées
sorties d’un frigo marchant au kérosène
Je pousse la porte bénie des insomnies
me détachant de moi
tressant la geste anthologique
de Montaigne & Compagnie
https://www.youtube.com/watch?v=NdeT4AZ5gWM pajarillo : oiselet un joropo musique du llano vénézuélien parcouru et vécu avec émotion dans une "vie autre"