ALORS QU’EST-CE QUE T’AS ÉCRIT CETTE NUIT ? 10 La lettre volée par Lacan

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LA LETTRE VOLÉE PAR JACQUES LACAN

-Alors qu’est-ce que t’as écrit cette nuit ? -Cette nuit, accroche-toi bien, j’ai plongé dans mon « ex-sistence » (soit : « de la place extatique ») où Lacan (il faut nommer d’emblée par son nom le Maître in/contesté de la Société Psychanalytique de Paris) situait le sujet de l’inconscient. -Mais je croyais que tu étais fâché avec la découverte du docteur Freud ? -Oui, c’est ma posture, mais avec les Écrits de Lacan, c’est autre chose, je n’y comprends goutte, mais j’éprouve le plaisir d’un piroguier pagayant dans les eaux du Signifiant. Et puis ça m’a permis, puisqu’il s’agit de ça, de relire La lettre volée d’Edgar Poe traduite par Baudelaire et relookée par notre maître Jacques (ne cherche pas midi à quatorze heures, c’était son prénom). -Mince, de Poe, je ne connais que Le double assassinat de la rue Morgue. -Ne t’inquiète pas, je vais te présenter l’affaire de la Lettre volée promptement. Scène primitive : le Roi, son époux et le ministre D. viennent visiter sa majesté la Reine. D. est le seul à remarquer son trouble, son désarroi, et son œil de lynx en comprend aussitôt la cause : une lettre est posée sur la table de la Reine « retournée, la suscription en dessus ». Alors, ce diable de ministre  tire une lettre de sa poche, feint de la lire, et la dépose à côté de la lettre première, qu’il dérobe, sans que la Reine qui n’a rien perdu de son manège, ait pu intervenir. Nul n’a bronché mais la lettre est bel et bien « volée »…et envolée. -Jusqu’à présent j’ai pigé le coup tordu. -Scène seconde : elle se déroule dans le bureau du ministre-voleur. Dupin, le génial détective mis en scène par Edgar Poe, est chargé par le préfet de retrouver cette fameuse lettre. Il va sans dire que depuis des mois la police en l’absence du ministre, a fouillé de fond en comble son bureau et son hôtel particulier, mais n’a rien trouvé. Dupin s’est fait annoncer au ministre. Au cours d’une conversation banale, il inspecte le lieu, les aîtres écrit Lacan, nous forçant à vérifier qu’il s’agit ici d’un sens vieilli, c’est-à dire des murs qui entourent le bureau du ministre, alors que les « aîtres » sont avant tout le terrain médiéval qui proche d’une église sert de cimetière. (sans parler des « êtres », naturlich) Bref, au beau milieu du manteau de la cheminée, Dupin aperçoit ce qu’il cherche « un billet fort éraillé qui semble à l’abandon dans la case d’un méchant porte-cartes en carton, qui pend et qui est conforme au format recherché. -Et comment fait-il pour s’en emparer ? -Il feint d’oublier sa tabatière et revient le lendemain, armé d’une contrefaçon qui simule le présent aspect de la lettre, fait aller le ministre à la fenêtre attiré par un incident bruyant dans la rue, naturellement prémédité, et s’empare à son tour de la lettre volée à la Reine en lui substituant son semblant. -Bien joué, bien narré. -Oui, c’est la partie besogneuse de l’exercice du résumé. Mais ensuite ça va se corser, notre psychanana va entamer son « séminaire sur la Lettre volée ». Alors c’est (je cite) « un déferlement d’apories, d’énigmes éristiques (relatives à la controverse), de paradoxes, voire  de boutades (la spécialité de ce causeur « à la cantonade ») », en guise d’introduction à la méthode Dupin, qu’il taxe de « détective amateur, prototype d’un nouveau matamore, mais (concède-t-il) encore préservé de l’insipidité du superman contemporain. (entre parenthèse, si j’ose avancer que je vois là un autoportrait en creux du Maître, ses disciples vont me déchirer.) -En effet sois prudent caute, c’est arrivé à d’autres d’Être cloué au pilori dans des revues avant-gardistes parce qu’ils ne s’étaient pas inclinés devant la science du Patron. -Oui et en même temps Lacan était un sacré roublard. Par exemple je cite cette incise à propos d’une note de la première édition (en 1966) qu’il aurait supprimée dans la seconde (1969) « J’en supprime l’indication, trop imparfaite pour ce qu’à me relire pour cette réimpression, une personne me confirme qu’après le temps de ceux qui me vendent, un autre vient où l’on me lit, pour plus d’explique »(sic) Le mot « explication » devient « explique », Lacan, on le sait, multiplie les effets de manche, avec moult néologismes, nous invitant dans le même temps « à dépister sa foulée, là où elle nous dépiste ». -Ah vraiment je vois que pour ta part tu le pistes ! -Ah oui, parce que dans la foulée il s’amuse à traiter notre ministre de « poète ». Je le recite : Oui-dà (on dirait Dada), mais on nous laisse nous-même dans l’errance sur ce qui constitue, en matière de cachette, la supériorité du poète, qui au lieu de choisir des cachettes extraordinaires (dont il nous donne « à revue » une liste impressionnante, du tiroir dissimulé à la fausse épaisseur de reliure d’un livre), exhibe à la vue de tous sa Lettre volée. Cette Lettre qui entre tous les objets est seule douée de la propriété de Nullibiété ! : un mot-valise repris d’un certain évêque Wilkins, qui aurait tenté d’élaborer une langue universelle, utopie sémiologique dont Borges fit des gorges chaudes. Nullibiété, à la sauce Lacan, devenant cette chose qui étant partout n’est nulle part. Ce non-lieu de la Lettre, c’est-à dire de la Jouissance dans son articulation au réel et au manque (CQFD).

DÉFENSE À DIEU D’ENTRER





SURTOUT N’EN PARLONS PAS





Surtout n’en parlons pas

Mais de qui mais de quoi ?

Devinez écrivez

Faites appel à votre ange

On dit qu’il en a un





Relisez le sonnet

En X de Mallarmé

Avec ce seul objet

D’identité sonore

Pour mieux vous égarer





Ou plus trivialement

Enfourchez le solex

D’Alceste ou d’Alex

Pour aller au grand Rex

Voir un film rince l’œil





Défense à Dieu d’entrer

Seul Hugo put écrire en vain

Cet interdit divin

Dieu était dans la tombe

Et regardait Caïn





Défense d’en parler

Mais on peut à Orsay

Contempler ce Courbet

Acheté par Lacan

Au turco-égyptien

Appelé Khalil-Bey





Voie lactée ô sœur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Chanson du Mal-Aimé

Guillaume Apollinaire

Nous fait voir les rondeurs

De dame damascène





Décidément nous digressons

Changeant de rythme et de rimes

Kss kss dit Flaubert à Emma

Couchée sur ses carnets intimes

Ainsi finit notre chanson


	

DU NYANYA DE LACAN AU NYAPROU DE MA MAMAN





Je me souviens du nyanya de Jacques Lacan qui ajoutait un brin pervers

C’est pour que rapport nyait pas





Je me souviens de la cantatrice chauve d’Eugène Ionesco

Celle qui selon Mme Smith se coiffe toujours de la même façon





Je me souviens de l’incipit le plus répété de la littérature française

ouvrant Du côté de chez Swann

et que ce farceur de Perec

transforma en

Durant un grand laps on m’alita tôt

(lipogramme en « e »)





Je me souviens du sonnet de Georges Fourest

Un travertissement burlesque du Cid de Pierre Corneille

Impassible et hautain drapé dans sa capa

Rodrigue-As-Tu-Du-Cœur

Suscita ce vers inoubliable de la plaintive Chimène

Qu’il est joli l’assassin de Papa !





Je me souviens que certains membres de l’Oulipo

L’Ouvroir de Littérature Potentielle

sont excusés au début de chaque réunion

pour cause de décès





Je me souviens du Pantoum négligé

de Paul Verlaine

Trois petits pâtés ma chemise brûle

Ma cousine est blonde elle a nom Ursule

Et par ricochet je me souviens de

Ô U Ô U

Ô Ursule

Pour toi d’amour

Mon cœur brûle





Je me souviens de Certains l’aiment chaud

et de la chute du film

Nobody’s perfect !

Conclusion d’une blague de scène de ménage

La femme : Tu es un parfait idiot !

Le mari : Personne n’est parfait !





Je me souviens du nyanya de Lacan

et du nyaprou de ma maman 

cette expression issue de l’Occitan

et qui signifie

Ça suffit !